30 ans
C’est fou comme on ne change pas, c'est fou comme on change. Quand j'étais enfant ou ado je pensais avec crainte à tout l'effort que demandait le fait d'être adulte : les responsabilités, le travail, l'argent, moi j'avais une vie simple d'enfant de bourgeois, je n'avais aucune décision à prendre. Je pensais que ma personnalité changerait et se ferait au monde ; que c'était ça, vieillir : voir une espèce de sève mystérieuse remplir progressivement notre cerveau pour donner à nos pensées et à nos gestes une inflexion de rigueur. Alors qu'on ne change pas. Ce qu'on apprend de la rigueur, des responsabilités, ne change pas la personnalité ; elle la réduit, voilà tout, on fait exister dans soi autre chose que soi-même, on s'efface pour laisser sa place au monde, "il faut qu'Il croisse, et que je diminue" (Evangile selon Saint-Jean, 3:30). On ne change pas, on s'avance dans la vie avec un rapport progressivement changé à la certitude. Jeune on a la certitude que quelque chose du monde que l'on ne connait pas nous est dû ; vieux que quelque chose du monde que l'on connait déjà trop bien nous revient. Chaque posture a ses avantages. Mais comme on change pourtant. Je pense que ce qui change, ce sont les propriétés de surface ; ce qui reste sont les propriétés profondes, le noeud de notre personnalité. Je reste inconséquent, mais je suis aussi plus responsable : l'inconséquence m'est essentielle ; la responsabilité acquise me permet de mieux exercer mon inconséquence. Ce qui change, c'est la manière dont la personnalité se donne à voir, mais fondamentalement, dans son coeur, elle est la même. On est le même. On est toujours le même vieil enfant. Et on finit par comprendre qu'on ne se libérera jamais de soi-même, et qu'on ne sera jamais libre.