3 / photographies : fillette invisible

par Claire, mercredi 28 janvier 2015, 12:33 (il y a 3590 jours) @ Claire

Elle est fatiguée des autres, d’être en face des autres, et plus encore de dire des mots et des phrases, soulignés d’expressions du visage et de la tenue du corps. Elle est sortie dans l’après-midi encore clair, a marché aussi droit qu’elle pouvait, passant les petits ponts, longeant les canaux verts, tentacules parallèles ou en arborescence. Elle a traversé des places aux bancs vides, regardé des petits marchands de fruits, de photos. Elle s’est vite perdue, glissant le regard sous des voûtes basses où clapote l’eau, elle a aperçu tous les bateaux, neufs ou ruinés. Fatiguée, elle s’est glissée dans le parc qui s’ouvrait devant elle, désordre, haute futaie, houx. Elle vient d’avoir 12 ans, n’ose que depuis quelques mois se promener ainsi dans la ville. Elle est prudente comme la colombe.
Le parc est tout en longueur pour autant qu’elle puisse en juger. Il s’appuie sur un mur très haut, un palais sans doute. Elle se glisse entre des arbres contraints de monter pour chercher leur lumière. Les grands caducs sont nus, mais des pins, des haies, et des bosquets de buis abandonnés ferment autour d’eux leur écran végétal. Tout au bout du parc, à l’endroit où il se rétrécit, se trouve une pergola au bord festonné, aux volutes de fer pointues.
Soudain, il se découvre devant elle, aussi droit que le grand tronc qui le précède. Droit et beau, encadré d’un arc de feuillages, presque nu dans la fin d’hiver, tête bouclée qui la regarde. Au-dessus de lui piaillent déjà des oiseaux prêts au printemps. Son bras droit pend le long de sa cuisse, et sur son corps parfait, la mousse et les lichens ont dessiné les ocelles d’une fourrure sauvage, la lèpre hasardeuse du temps. Elle reste en face de lui, saisie de cette solitude.

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