Le roman de Casimir
Casimir marche mais ne s'aperçoit pas qu'il tombe. Son ami, son unique ami, l'interpelle : "Hé, tu tombes !". Casimir n'entend rien, il y a trop de vent. Le temps passe. Cela fait des années que Casimir chute et qu'il entend en écho la voix de son ami "Tu tombes , tu tombes !". En tombant Casimir a tout de même réussi à écrire le roman le plus parfait, le roman à venir, qui tient sur deux cent pages. Le genre est celui du polar, qui convient parfaitement aux problématiques métaphysiques modernes. Sur le plan théorique le roman s'attache au tout départ de la chaîne causale de tout événement; c'est qu'il y a un principe premier et que ce principe, au fil du temps et des conséquences, se dégrade mais sans totalement se détruire, comme un miroir fracassé qui se divisent sans cesse dans des morceaux plus petits. Une chose de plus en plus imparfaite, une caricature de plus en plus laide de ce qui a été un jour parfait. Ce qui était très clair c'est que le roman ne laissait pas le lecteur s'interroger si tout cela était le fruit d'une volonté supérieure. Chez Casimir cette volonté était l'inverse de ce que l'on peut retrouver chez Lovecraft: elle était bienveillante, lumineuse et pleine d'un amour infini. Tout cela était écrit de façon admirable, les personnages incarnaient, à la façon balzacienne, chacun un type, une idée et Casimir avait trouvé piquant d'y mêler le genre parodique, une moquerie du genre romanesque à l'intérieur même de son roman, pour jouer de ses limites, par défi intellectuel. On y voit ce que l'on doit voir dans toute grande oeuvre: le combat entre le Bien et le Mal. Les critiques ont put parler de l'influence de Dostoïevski mais sans l'hystérie, les mouvements de passions trop importants qui caractérisent l'âme slave. Il était nécessaire de parler de la modernité et ses conséquences: l'individu amorphe, homme atomisé, réduit à l'insatisfaction de ses désirs sans cesse plus conséquents, travaillé par les influence économiques et la notion prostituée de prestige, le tout sans rester dans l'angle sociologique strict mais dans une optique théologique où Dieu se serait retiré du monde. Pour un écrivain il s'agissait d'agir en conséquence et, effort final, bloyesque, saisir dans l'histoire l'action de Dieu. Serge Lorvevic, sommité du comité littéraire officiel qui avait eu pour charge de critiquer le roman de Casimir, pointait le fait que si Dieu s'est retiré du monde c'est qu'il a fait cela pour laisser de l'espace à l'homme. En effet, si Dieu est le tout, quel place a l'homme ? L'homme se confondrait avec l'essence, dans une liquéfaction puisque dans cette sensation aquatique là est l'aboutissement de la démarche mystique: se confondre, se réduire, s'abolir dans l'extase, dans le phénomène d'union et de plénitude que provoque le bain, probablement la soupe originelle. Thomas Kupton, célèbre biologiste et prix Nobel, qui se piquait de littérature, renvoyait le fond théorique du roman de Casimir à la formation de l'embryon, qui se développe dans le liquide amniotique. Mais Kupton, en tant que chercheur athée, était très loin des considérations mystiques, il renvoyait tout cela à un processus psychologique: si l'embryon se développe dans le liquide amniotique, il conserve la mémoire d'un sentiment de plénitude, de sécurité, et ne recherche plus qu'à la retrouver. Evidemment on ne peut ici s'éviter de parler de l'émotion Proustienne, mais chez Casimir celle-ci ne pouvait pas ne pas trouver sa source dans le surnaturel. L'idée d'une intervention surnaturelle ne pouvait être considéré sur un plan scientifique et de fait a été évacuée par Kupton. Hors le surnaturel était au centre de l'oeuvre de Casimir. Mais surtout l'écrivain, toujours en train de tomber, a parfaitement mis à jour ce principe essentiel: l'homme peut bien se retrouver face à l'évidence même, à la vérité, et bien il n'y verrait même pas le pif sur la figure, qu'il se mettrait même à chercher autre chose. Beaucoup d'éminents critiques en ont d'ailleurs dit beaucoup de bien, loués le style remarquable et puis enfin un roman sans cynisme ! Enfin autre chose que la plate description d'un milieu bourgeois qui s'ennuie ! Quand Casimir eut terminé sa descente on lui demanda où il trouvait son inspiration. Il répondit qu'il ne savait pas mais que ça lui arrivait d'entendre les paroles de son ami: "Hé, tu tombes !". Les universitaires ont fait toute une étude pour retrouver cet ami. Quel ne fut leur surprise lorsqu'ils arrivèrent à la conclusion que cet ami n'était en réalité qu'un singe ! Un singe du zoo de Vincennes. Un singe triste et anorexique qui ne se nourrissait plus, des enfants méchants se moquaient de lui et lui jetaient des pierres. "Oui dit Casimir, ce sont les cris d'angoisse de ce singe que j'entendais lorsque j'écrivais, je n'ai jamais vu créature si triste. Nous étions comme en union, il me criait que je tombais et je tombais. Il était dans sa cellule et j'étais dans la mienne. En réalité il me demandait "Que fais-tu de ta vie ?" et je ne savais répondre, oui, j'ai vu ma vie défiler comme une chute, j'ai énormément raté de chose, je n'ai pas considéré son aspect précieux. J'ai raté ma vie, j'aurais du sauver la sienne. J'ai tout écrit pour me faire pardonner". C'est bien plus tard, une trentaine d'années après, qu'un prêtre de la fraternité saint pie X tomba sur le roman de Casimir, totalement oublié. Il fut le premier à comprendre les ultimes phrases du roman. La recherche du pardon est le cri de toutes les âmes, même dans le vice le plus profond, les ténèbres les plus sombres luit l'individualité humaine comme un diamant. Casimir était un de ces damné avec un diamant dans le cœur. Le singe avait été le seul être capable de lui donner ce salut, car ce singe, dans sa cage infâme, loin de la jungle, avait prié pour lui, comme seul un animal sait le faire, dans leur apparente passivité intellectuelle qui est en réalité louange pure envers la création. "Je n'ai pas assez chanté les baleines, joyaux de la couronne de Dieu, je n'ai pas su parler du désert" écrivait Casimir. Mais ce singe, ultime alter-ego, avait pour rôle d'équilibrer ses péchés. "En effet nous venons double dans ce monde", disait un des personnages du roman "Il y en a un qui vient pour mourir, l'autre pour l'empêcher de mourir une seconde fois". Ainsi se terminait l'unique roman de Casimir... dont nous reparlerons une autre fois.