Septième ciel Jacques Becker 1952

par Ramm77 @, lundi 08 septembre 2014, 16:58 (il y a 3520 jours)

Septième ciel
Jacques Becker 1952



Tu es belle
Oui
Tu te déshabilles
Oui
Tu embrasses
Oui
Fais aussi la turlute
Oui
On rentre par ta petite porte
Oui Viens On monte
*
Faudra payer la chambre avant à la logeuse
Ça vous fait cinquante Et dépêchez-vous
*
Je monte
Doucement Attends-moi
Monsieur est voyeur
Non Artiste
Comme tu veux On a sept étages
C’est tout
Je suis pressée Je suis attendue là-haut
Lentement monte lentement
*
J’ouvre la fenêtre
C’est qu’il fait froid
La vue donne sur la cour
Mais c’est une prison
Bien sûr c’est une prison
Défais-toi
C’est une prison Sa dernière prison
Soulève ta jupe
Dix heures trente cinq On l’amène dans la cour
Mets-toi à genoux
Il a une chemise toute blanche
A genoux et mieux que ça
Il tombe sur ses genoux On l’oblige
Vas-y Prends allez prends
Il bascule sur la planche
Tu vas te taire
Dans la lunette sa tête est prise
Trop bavarde
Ça y est Le couperet tombe Dans le panier sa tête C’est fini
Tu aimes cette cérémonie
C’était mon amoureux
Toi un amoureux
Oui Très jaloux Il a tué mes amants
Normal
Maintenant ils rangent leur guillotine Je referme la fenêtre
Ben oui
Il savait ce qui l’attendait mon Jo
Jo
Jo Mando Tout le monde réclamait sa tête
Normal
Lui il m’aimait vraiment
Tu m’a donné du plaisir quand même
Tiens
C’est quoi
Ton blé Je n’en veux pas Aujourd’hui c’est gratuit
Tout de même
Vas-t-en Tout de suite
Ça va ça va
Je veux rester seule avec mon Jo et pleurer
Ton Jo il ne reviendra pas
Pleurer pleurer C’est impudique de regarder une femme qui pleure
C’est vrai Putain Tu m’gênes à chialer comme ça
Alors va-t-en
Qu’est-ce que je vais dire à la logeuse La chambre est libre
Je lui paierai la passe
Elle sait pour la guillotine
Oui C’est la meilleure chambre pour voir les exécutions
Quand je vais raconter ça
Tu vas te taire
On se reverra Tu veux
Non
Je pourrai avoir du sentiment pour toi
Tu veux toi aussi passer sous la faucheuse
Je t’aime bien
Comme tout le monde
Tu ressembles pas aux autres
Je suis une prostituée Je fais mon boulot
Non
Si Fous le camp Dégage
*
Madame la logeuse bonjour
C’est vous Vous n’avez pas terminé au septième
Elle voudrait rester encore un peu
Elle me fait le coup à chaque fois
Quel coup
A chaque guillotine elle demande la chambre
Non
Regarder les têtes tranchées en baisant ça donne du piment dit-elle
Cette fois c’était son julot sous le couperet
Je sais Mais j’ai d’autres clients qui attendent
Je vais vous repayer sa chambre pour elle
Vous êtes aimables monsieur C’est une pauvre fille
Oui
Elle met du cœur à la mort
Oui
Cinquante ça fera pour la chambre monsieur
Elle va y pleurer juste le temps d’une passe
C’est ça une passe
A plus tard madame !

Septième ciel Jacques Becker 1952

par dh, lundi 08 septembre 2014, 17:42 (il y a 3520 jours) @ Ramm77

pour moi ce n'est tout bonnement pas de la poésie. peut-être devrait on appeler ça "écriture contemporaine"...

Septième ciel Jacques Becker 1952

par cat, lundi 08 septembre 2014, 19:07 (il y a 3520 jours) @ dh

oui, peut-être.. mais est-ce qu'il ne faut écrire que dans le corridor étroit qui sent l'urine et la moisissure
ou est-ce qu'on ne peut pas écrire dans la ruelle, et aussi sur les trottoirs, les vitres des voitures, les grands pans des building..
je veux dire ... est-ce qu'on ne peut pas extendre les champs de l'écrire ici ? je n'aime pas trop le confinement..
tiens d'ailleurs j'ai bien posté des pages du roman inachevé "livre du renversement".. et alors ? c'est de l'écriture, non ?
j'aime bien l'idée de rassemblement de voix multiples qui coexistent et persistent vers et par l'écriture..

puis toutes les formes ne sont-elles pas dans la nature ?

Septième ciel Jacques Becker 1952

par cat, lundi 08 septembre 2014, 19:27 (il y a 3520 jours) @ dh

aussi, ce texte, il a une poétique, elle est contenue mais véritable et présente.
elle n'est pas dans la forme, ni dans le traitement, elle se trouve au fond du fond,
tout proche du tandem que forment l'horreur et le trivial, et elle est porteuse de véracité

Septième ciel Jacques Becker 1952

par Kel, lundi 08 septembre 2014, 23:46 (il y a 3520 jours) @ cat

Je trouve, aussi ! Et il frappe doucement mais sûrement ce texte.

Septième ciel Jacques Becker 1952

par Kel, mardi 09 septembre 2014, 15:34 (il y a 3519 jours) @ Kel

Septième ciel Jacques Becker 1952

par VeM, mardi 09 septembre 2014, 14:36 (il y a 3519 jours) @ dh

Ce texte répond pourtant aux trois critères que tu retenais pour définir la poésie:

Présence
Souffle
Fragilité

ilzisson !

Septième ciel Jacques Becker 1952

par cat, mardi 09 septembre 2014, 14:41 (il y a 3519 jours) @ VeM

ha... je croyais que c'était

présence
souffle
étrangeté

mais ..ilzissong nez- en-moing !

;)

Septième ciel Jacques Becker 1952

par VeM, mardi 09 septembre 2014, 15:19 (il y a 3519 jours) @ cat

Je ne retrouve plus le message de maître dash
mais il a bien dit "fragilité" cette fois
après avoir parlé d'étrangeté précédemment, certes

Septième ciel Jacques Becker 1952

par VeM, mardi 09 septembre 2014, 15:25 (il y a 3519 jours) @ VeM

intéressant dans ce texte comme tout est mis sur le même plan
action / paroles / pensée
et se confond dans la vitesse

Septième ciel Jacques Becker 1952

par Claire @, mardi 09 septembre 2014, 16:50 (il y a 3519 jours) @ VeM

c'est comme une tresse multicolore où miroitent désir-mort-voyeurisme-soumission-mépris-compréhension-punition-cruauté-jalousie-compassion-avidité-séparation-chagrin...c'est beau et mélangé comme l'amour.

je la vois qui serpente le long de l'escalier, comme la tresse de Rainponce pendait du haut de la tour qui n'avait pas de porte.

Septième ciel Jacques Becker 1952

par VeM, mardi 09 septembre 2014, 17:27 (il y a 3519 jours) @ Claire

"désir-mort" ah ce couple fatal !!
je rajouterai dans ta tresse "réalisme" parce que pas le même registre que Sade toudemem...

Septième ciel Jacques Becker 1952

par Ramm77 @, mardi 09 septembre 2014, 18:45 (il y a 3519 jours) @ VeM

Il faut que je vous dise qu'il s'agit d'une interprétation personnelle de la dernière scène du film de Jacques Becker "Casque d'Or" en 1952. Avec un dialogue minimaliste, par lequel bien sûr amour mort et marchandisation du corps peuvent être mis en contrepoint. En effet je trouve que la poésie justement est dans le paradoxe, la contradiction de ces thèmes. La poésie peut-être une unité (miraculeuse ou inadmissible) des contraires...
Merci à tous pour vos commentaires très éclairant.

Septième ciel Jacques Becker 1952

par Claire @, mardi 09 septembre 2014, 19:06 (il y a 3519 jours) @ Ramm77

oui, c'est vrai j'ai oublié des brins importants de la tresse. Marchandisation et réalisme (au sens où quelque chose de plus véridique est recherché dans la vie des gens pauvres, même si c'est fortement teinté d'un romantisme-années 50).

Tout ça est très intéressant, et aussi l'économie de ton écriture.