Claire

par vagabond vagabondant, dimanche 07 août 2016, 00:53 (il y a 2821 jours)

Claire, et son pas indolent des marcheuses d'Andorre, nourrissait pour la vie un appétit étrange. Son pied s'appliquait sur le béton comme on s'enroule au duvet molletonné. Nous traversâmes longuement le jour. La matière jaunie, irréelle des êtres sous forte chaleur, le ciel blanc, l'insouciance. Nous eûmes la courtoisie de ne pas effleurer notre tristesse et toutes les choses sublimes et nocturnes qui leur lâchent la main. Longtemps nous nous perdîmes dans ce labyrinthe. Nous avions aux lèvres un vin mutuel, cela suffisait au bonheur. Claire parlait peu, riait beaucoup, par vagues, aux yeux noirs et légers. Claire, son énigme et sa franchise. Claire et mon âme un peu mourante ; ma jeunesse, sa fêlure.



*



Cette nuit-là, sur les berges étoilées, à peine l'effleurais-je qu'elle devint courant de Seine. L'eau mouvante berce les mélodies lancinantes et les solitudes. En cet instant, un accordéoniste méridional, qui regrettait à coups de grands gestes comiques sa Bella, incline avec tendresse son front hâlé sur mon épaule - et son sanglot lyrique fut d'un étrange réconfort. Je continuais de m'offrir, comme de pierre, aux céphalées méditatives. Il fallait bien qu'à mon tour je pose ma joue contre le sein tiède du vent. Il fallait bien que je prenne ce pauvre homme dans mes bras. Claire flotte quelque part dans cette confusion des âmes.



*



Un soir, j'eus le vague sentiment du dos de Claire : longiligne et régulier, longé d'une robe que l'air bleu confondait. La présence fila sans se retourner dans cette vaste architecture de ruelles, aux façades angulaires, percées d'ombres et d'odeurs de pain chaud.

La ville l'avait inhalée.

Je finis par échouer sur les marches d'un opéra, aux pieds d'une saxophoniste. Elle cessa de jouer et me pris en tendresse, et nous rêvassâmes ensemble, tête contre tête, sans plus de mots. Elle était jolie, cette saxophoniste. Elle était jolie, plus encore que Claire.

Les sensations ne se démêlent plus des souvenirs et des projections. Je respire leur blême confusion. Impression de devenir muet. Ce mal étrange.

La grand-place jetée hors d'elle-même, j'avais le vague sentiment du dos de Claire. Nulle image bien nette, nulle sensation tout à fait arrêtée, aucun souvenir vivace - une ombre, un flou, un mouvement sourd, une forme quasi-fictive que des régions antérieures font affleurer.

J'ai quitté ce monde d'étincelles nocturnes.

Aujourd'hui, cela fourmille ci et là comme un alizé chargé de fables très anciennes.

Cassandre

par vagabond vagabondant, mercredi 10 août 2016, 20:15 (il y a 2817 jours) @ vagabond vagabondant

Il nous suffit, cette nuit-là, d'être ensemble, Cassandre et moi, pour retrouver goût aux dédales, à la pénombre pleine de beauté, au parfum flottant des marécages, à l'impossibilité pour nos âmes d'entrer en repos.

Un même feu de paille intarissable piétinait les pavés, les fleurs et les regrets, louvoyait sous les ponts de pierre, fasciné par les voûtes et les arches et les convois de bêtes reptiliennes.

Cassandre, qui bondissait sa marelle d'un muret à l'autre, se découvrait des ingéniosités félines. La Seine insoucieusement se déplissait pour nous. Le ciel buvait le vin de nos voix. Je me laissais tomber dans la plus sereine des sobriétés.

Non sans malice, moi aussi, je me déplissais pour elle ; non sans malice, je devenais un gros chat ingénieux. Je maroulais mon destin en quelques raffinements provocateurs. Non sans malice.


Car je suis un mime marceau, le caméléon des méchantes tendresses : et les rues sont faites pour y jouer des claquettes, et les motos stationnées pour s'y assoupir publiquement.



*



Longuement, cette nuit-là, sur notre passage, nous sentîmes les portes s'émouvoir, des persiennes lever leurs cent paupières, les fenêtres délier leur transparence.

Longuement, cette nuit-là, les spectres de la ville nous toisèrent en silence. Ma solitude dansait avec le bonheur de Cassandre.

Je glissai mes paumes auprès des siennes, si douces et rêches, et elle me les serra avec la ferveur des toujours, comme on serrerait un coeur pour le marquer longtemps.

Je l'ai prise par les mains pour danser. À son tour, Cassandre l'espiègle me tira à elle, et d'elle je tirai tout le zèle de la ville, dont je consommais déjà - sans tristesse - l'absence savoureuse à venir.

Cassandre

par uta, jeudi 11 août 2016, 07:52 (il y a 2816 jours) @ vagabond vagabondant

Aguirre guéri vous aime et veille sur vous
Et le coeur léger, le prophète se retire
Merci à vous :)

Cassandre

par dh, jeudi 11 août 2016, 10:15 (il y a 2816 jours) @ uta

oh la la ça pèse des tonnes tout ça !

ça pète plus haut que son cul !

Acrobatie gazeuse

par Écrire, jeudi 11 août 2016, 11:07 (il y a 2816 jours) @ dh

En même temps, quand on y pense, flatuler plus haut que son séant (outre que c'est malséant), constitue une authentique performance physiologique ! Ô improbable acrobatie gazeuse !

Acrobatie gazeuse

par uta, jeudi 11 août 2016, 14:30 (il y a 2816 jours) @ Écrire

Comme message de paix, je vs l' accorde, c'est merdique..)

Cassandre

par Rémy @, vendredi 12 août 2016, 00:20 (il y a 2816 jours) @ dh

C'est inspiré d'un film ?

Cassandre

par vagabond vagabondant, vendredi 12 août 2016, 01:32 (il y a 2816 jours) @ Rémy

en ce qui concerne ces quelques textes, non. je n'ai pas tellement compris les références d'uta ; encore une énigme qui demeurera irrésolue :(

:-)

par Écrire, vendredi 12 août 2016, 03:33 (il y a 2816 jours) @ vagabond vagabondant

- pas de texte -

Cassandre

par Rémy @, vendredi 12 août 2016, 11:50 (il y a 2815 jours) @ vagabond vagabondant

Moi perso je trouve ces deux-là très réussis, mais dans un genre qui ne m'intéresse pas. Quand tu mets un débutant devant un piano avec mission d'improviser, il en sort toujours un truc rêveur en ré dorien (si tu le mets à la guitare électrique et au micro, il vient un truc braillard et triste en ré dorien) ; avec les textes c'est systématiquement une ambiance rêveuse-indécise sur le thème de la famapoualle. Bien sûr on peut faire de très jolies choses en ré dorien sur le thème de la famapoualle, mais quand même, c'est d'une banalité...

Cassandre

par vagabond vagabondant, vendredi 12 août 2016, 13:40 (il y a 2815 jours) @ Rémy

vrai, c'est banal. mais c'est assez assumé. je dois dire, pourtant, que ce qui m'a mené à cette banalité là souffre, si je puis dire, un peu moins la banalité. j'ai commencé en poésie, y'a huit ans, par la porte de la grande fantaisie : un goût des folies, de l'humour rimbal-daliesque, des surréalisteries cyniques et des frivolités mallarméennes ; j'emploie ces mots vieux comme les volcans, usé comme les premières péripatéticiennes, mais de ce que j'ai pu lire de nos tristes officiels, je ne vois pas grand chose de bon. des à peine saltimbanques ratés, fats de mastiquer, par la force de leurs contre-performances, leur prépuce intellectuel (cf. Philippe Beck, Christian Prigent).

la poésie strictement expérimentale, autant que ses provoc' bourgeoises en papier mâché, m'ennuie beaucoup ; et puis je n'y peux rien si la famapoualle m'obsède : dès que mon sexe s'absente du sien, son candide lyrisme reflue.