Le 30 Novembre

par 411, dimanche 30 novembre 2014, 09:49 (il y a 3438 jours)

Ils sont là, partout, ils promènent leur chien, ils mordent dans un sandwich, ils ne vous regardent pas dans les yeux mais regardent vos yeux, il ne vous prennent pas la main, c'est votre main qui pénètre la leur, ne vous caressent pas le dos mais laissent votre peau caresser leur geste, leurs pupilles sont flottantes, leur regard est fixe, ils ont fini leur sandwich et déjà ils se remettent en route, ils n'oublient pas mais abolissent, ne parlent pas mais laissent passer les mots, ils ont créé de puissants flamands roses, ils ont peint les fleurs les plus chères du monde, ils ont conquis tout un pan de toute la peau du monde, ils m'emboîtent le pas, ils sont en contact avec une certaine idée de l'absolu, ils n'ont rien de particulier, ils ont cousu un bas de jogging à leur pantalon beige, ils sont bruns, costauds, ils s'appellent Camille grimpent dans les phrasent chutent éclatent d'un rire malsain et accrochent à leur porte accouchent de messages hostiles, ils ont conquis la face sombre de la lune ta beauté me foudroie, j'élève la voix puis la rejoint et les syllabes sont autant de marches inégales, ils sont à présent derrière moi, leur souffle fait toutes sortes de messages dans le petit jour, ils ont flairé ma piste puisqu'ils sont canins, bien habillés, bien pansus les salopards, ils ont le code de mon immeuble, ils me touchent par leur fragilité, ils ont ouvert ma boîte aux lettre et écrit les grands chef-d’œuvres de l'histoire, ils s'appellent Antonin Daniel et X253, je les connais par leur absence, par leurs pupilles fixes et leur regard flottante, ils sont là, partout, il sont avec moi, ils m'obligent à regarder ce qui se déroule sans conscience, ils n'écrivent pas mais demandent pardon, ne communiquent pas mais donnent la patte, et internet est une prolongation de leurs fantasmes, lorsqu'ils tapent ils hurlent, l'un se balance doucement, l'autre a déjà fait 500 fois le tour du salon, le dernier a peut-être apporté au monde un angle de vue nouveau ta beauté me foudroie, je les fixe sans mot-dire, je jette ce qu'il me reste de sandwich, j'ai déjà trouvé ma proie, ça y est, ils voient tout en bleu, s'incarnent dans leur chaise, tempêtent, ils sont prostrés quand ils sourient, ils sont de tous petits enfants, et nous en savons des râles inouïs, nous regardons vos yeux et nous sommes là, partout, en vous, en moi.

Le 30 Novembre

par Claire @, lundi 01 décembre 2014, 12:50 (il y a 3437 jours) @ 411

assez bouleversant...j'essaie de creuser l'émotion que ça induit chez moi.
En moi, ça parle de l'étrangeté fondamentale des autres, à quel point elle m'est nécessaire pour ne pas être seule avec moi-même, dans un monde qui ne serait que moi-même...et à quel point, aussi elle me cerne.
tiens, les différents sens du mot "cerne" (ennemi, fatigue, contour).

Le 30 Novembre

par c., lundi 01 décembre 2014, 21:25 (il y a 3437 jours) @ Claire

oui moi aussi ça me creuse quelque chose
c'est intéressant ce que tu dis
ce qui cerne aussi, mais je m'interroge au sujet de
êtranger/altérité ennemi? pourquoi ennemi ?

[pourquoi décide-t-on que ce qui "cerne" est ennemi ?]

Le 30 Novembre

par dh, lundi 01 décembre 2014, 22:25 (il y a 3437 jours) @ c.

joue un peu au go.

tu comprendras.

Le 30 Novembre

par c., lundi 01 décembre 2014, 23:56 (il y a 3436 jours) @ dh

ha. bon. s'il faut se réduire à ça... sempiternellement, la guerre et manger l'autre pour ne pas être mangé;
quelle condition humaine !

...je réfléchissais plutôt autour de ce qui fait qu'on décide ou fait de l'autre un ennemi, alors qu'il ne l'est pas forcément au départ et dans sa propre condition/dimension humaine... hm ? ça me fait l'effet d'un vieux réflexe, un conditionnement caduc, reproduit, toutefois, bien qu'il n'y ait aucune utilité à cela, aucun besoin, rien à gagner vraiment mais probablement beaucoup plus à perdre, dont sa propre humanité... non ?

Le 30 Novembre

par Claire @, mardi 02 décembre 2014, 09:33 (il y a 3436 jours) @ c.

Ben oui , c'est regrettable, mais même les mystiques choisissent plutôt une grotte dans la montagne qu'un centre commercial avant Noël pour "se retrouver" ;)

Le 30 Novembre

par c., mardi 02 décembre 2014, 10:54 (il y a 3436 jours) @ Claire

" je ne suis pas ton ennemie ", Claire...

tu es parfois ton ennemie

Le 30 Novembre

par Claire @, mardi 02 décembre 2014, 13:48 (il y a 3436 jours) @ c.

" je ne suis pas ton ennemie ", Claire...

mais bien sûr Catrine, je n'ai aucun doute à ce sujet.

Le 30 Novembre

par c., mardi 02 décembre 2014, 16:44 (il y a 3436 jours) @ Claire

ha ..euh.. c'était pas au premier degré !

Le 30 Novembre

par c., lundi 01 décembre 2014, 21:18 (il y a 3437 jours) @ 411

ça, c'est fascinant, je trouve, l'étranger soi qui regarde tout comme un tout étranger.
les pronoms utilisés, qui déplacent et replacent, dehors dedans partout. c'est un vertige particulier.
j'aime ça. et je n'aime pas ça. je veux dire, c'est fort, et ça dérange that kind of weirdiness.
ta main m'étonne (souvent)

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par 411, mardi 02 décembre 2014, 11:09 (il y a 3436 jours) @ c.

Oui, je suis content de lire ces réactions. Le point de départ c'est vraiment le regard "particulier" de pas mal de psychotiques dont j'ai croisé le chemin. Ce regard qui vous fixe et pourtant semble passer à travers vous. Ensuite, j'ai voulu écrire la dépersonnalisation, cette fuite de l'identité qui tend souvent vers l'illusion d'être tout le monde et personne, comme si soi, ou ce qu'il en reste, était au centre d'une nébuleuse floue, indéfinie.
Etre "cerné", oui, c'est bien ça, être cerné déjà au fond de soi, et projeter ses angoisses, fantasmes sur le monde alentour. D'où souvent une inversion sujet/objet. Une sensation que nous expérimentons tous un jour ou l'autre, à plus ou moins grande échelle, peut-être est-ce ça qui provoque le malaise. En tout cas si vous l'avez ressenti le but est atteint.

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par Florian, mardi 02 décembre 2014, 13:40 (il y a 3436 jours) @ 411

Et si par hasard cette tendance en venait à âtre majoritaire, serait-ce toujours une perception déformée, ou bien un état de fait réel. Il faudrait attendre quelques temps avant que les grands muphtis de nos sociétés s'en aperçoivent - par muphtis j'entends politiques, psychiatres et autres personnes médiatisées.

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par c., mercredi 03 décembre 2014, 01:06 (il y a 3435 jours) @ Florian

ça servirait bien l'ordre établi, le politique, et les banques... "hop on les enferme tous, on les bourre de medoc et on trinque à la dévastation !" des villes et des pays transformés en camp de concentration nouveau-genre...

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par c., mercredi 03 décembre 2014, 01:02 (il y a 3435 jours) @ 411

c'est ce que j'ai pensé et senti — je suis contente de ne pas l'avoir avancé, de ne pas t'avoir devancé.