MOISSONS
1 :
riches heures
matin frais dans l’ombre d’herbes
midi, verticale brûlante du cuivre fondu or et plomb
la fin d’après-midi lourde bleutée huileuse
le soleil rasant les chaumes
et les épaules nues dans leur mouvement
le regard trouve l’endroit où le ciel se fend
que la lumière
de sa force, noircit.
2 :
on passait la journée dans les glissements des outils
le miroir oblique de l’acier sous la lumière
taillant sa route dans ce qui tombait d’un mouvement régulier
les chemins de sueur entre les omoplates
la main qui essuie le sel sur les sourcils
aussi tout ce qui ne glisse pas
les épines fines la balle d’or blanc poudrant la peau
la lourde douleur de la fatigue, serrant.
c’était le temps, suivant l’orbite du soleil
orbe au-dessus des montagnes lointaines
et le déroulement du jour.
les haltes courtes l’eau chaude des bouteilles en plastique
l’avancée des machines dans le champ martyrisé tondu.
….
rien ne se couche plus rien ne glisse
tu es soigneusement assise
au bord d’un endroit dont tu ne tomberas pas
tu te penches un peu sur le grand espace sombre.
3 :
les champs sont bordés de talus, de haies.
sous un ciel blanc et bleu
sous la neige immobile des grands cumulus.
voici la lame rouge orangée
tordue
courant et fumant au-dessus des chaumes
les yeux piquent, l’odeur de la paille brûlée
pénètre dans les vêtements
et après les lignes noires, la cendre.
4 :
on dirait des feux :
la fumée de grands feux
dans la plaine, à contre-jour,
montant du sol devant le soleil qui descend.
on dirait des nuées déroulées sur la terre,
dans ses replis et ses creux.
posté un peu au-dessus
du haut d’une colline,
fouillant des yeux la plaine les vallées, les arbres
la petite cathédrale
on voit en trois endroits,
lents et couchés
doucement mouvants
ces nuages de fumée jaune et pâle
qui progressent, transparents.
chacun est seul dans son engin agricole
et le jour les voit suivre sans fin
dans le matin, l’interminable après-midi et le soir
et même la nuit avec les phares
les voit aller et venir
défaire lentement le tricot doré du champ
qu’ils avaient lentement labouré (brun)
semé (vert)
traité.
les épis qui penchaient sous les pluies
aux têtes d’or gris ciselées
tombent en multitude, suavement
dans leur odeur de grains.
eux aussi paient leur tribut dans la cage d’acier
au-dessus du rouleau vibrant, dans le nuage et la fumée sans feu
jaune et sauvage, dans l’odeur
de froment.
une vieille série, retravaillée
riches heures
matin frais dans l’ombre d’herbes
midi, verticale brûlante du cuivre fondu or et plomb
la fin d’après-midi lourde bleutée huileuse
le soleil rasant les chaumes
et les épaules nues dans leur mouvement
le regard trouve l’endroit où le ciel se fend
que la lumière
de sa force, noircit.
2 :
on passait la journée dans les glissements des outils
le miroir oblique de l’acier sous la lumière
taillant sa route dans ce qui tombait d’un mouvement régulier
les chemins de sueur entre les omoplates
la main qui essuie le sel sur les sourcils
aussi tout ce qui ne glisse pas
les épines fines la balle d’or blanc poudrant la peau
la lourde douleur de la fatigue, serrant.
c’était le temps, suivant l’orbite du soleil
orbe au-dessus des montagnes lointaines
et le déroulement du jour.
les haltes courtes l’eau chaude des bouteilles en plastique
l’avancée des machines dans le champ martyrisé tondu.
….
rien ne se couche plus rien ne glisse
tu es soigneusement assise
au bord d’un endroit dont tu ne tomberas pas
tu te penches un peu sur le grand espace sombre.
3 :
les champs sont bordés de talus, de haies.
sous un ciel blanc et bleu
sous la neige immobile des grands cumulus.
voici la lame rouge orangée
tordue
courant et fumant au-dessus des chaumes
les yeux piquent, l’odeur de la paille brûlée
pénètre dans les vêtements
et après les lignes noires, la cendre.
4 :
on dirait des feux :
la fumée de grands feux
dans la plaine, à contre-jour,
montant du sol devant le soleil qui descend.
on dirait des nuées déroulées sur la terre,
dans ses replis et ses creux.
posté un peu au-dessus
du haut d’une colline,
fouillant des yeux la plaine les vallées, les arbres
la petite cathédrale
on voit en trois endroits,
lents et couchés
doucement mouvants
ces nuages de fumée jaune et pâle
qui progressent, transparents.
chacun est seul dans son engin agricole
et le jour les voit suivre sans fin
dans le matin, l’interminable après-midi et le soir
et même la nuit avec les phares
les voit aller et venir
défaire lentement le tricot doré du champ
qu’ils avaient lentement labouré (brun)
semé (vert)
traité.
les épis qui penchaient sous les pluies
aux têtes d’or gris ciselées
tombent en multitude, suavement
dans leur odeur de grains.
eux aussi paient leur tribut dans la cage d’acier
au-dessus du rouleau vibrant, dans le nuage et la fumée sans feu
jaune et sauvage, dans l’odeur
de froment.
une vieille série, retravaillée
MOISSONS
C'est une splendide traduction de l'atmosphère et des travaux des champs
Il y a presque du vécu...
Mais en même temps on y voit l'iconographie qui la nourrit
celle des peintures du 19ème siècle
et aussi une littérature et poésie de cette époque
un romantisme sensoriel et pictural
Effectivement on soupçonne une réécriture d'une version première et ancienne
choix subtil des métaphores, périphrases, précision du lexique
(justement cela fait dire c'est drôlement bien écrit)
on pense aussi au film de Bertolucci "1900"
j'aime bien tout d'un coup ces brèves insertions de la narratrice :
"MOISSONS" c'est donc le glanage d'une mémoire, d'un passé, références culturelles et esthétiques, une lie de nostalgie
un beau "morceau choisi" de nos manuels
Il y a presque du vécu...
Mais en même temps on y voit l'iconographie qui la nourrit
celle des peintures du 19ème siècle
et aussi une littérature et poésie de cette époque
un romantisme sensoriel et pictural
Effectivement on soupçonne une réécriture d'une version première et ancienne
choix subtil des métaphores, périphrases, précision du lexique
(justement cela fait dire c'est drôlement bien écrit)
on pense aussi au film de Bertolucci "1900"
j'aime bien tout d'un coup ces brèves insertions de la narratrice :
tu es soigneusement assisele regard trouve l’endroit où le ciel se fend
que la lumière
de sa force, noircit
au bord d’un endroit dont tu ne tomberas pas
tu te penches un peu sur le grand espace sombre.
"MOISSONS" c'est donc le glanage d'une mémoire, d'un passé, références culturelles et esthétiques, une lie de nostalgie
un beau "morceau choisi" de nos manuels
MOISSONS
beau texte on s'imagine a cette époque des moissons aux heurs chaudes , au dejeuner sur l'herbe, a la sieste , a l'amitié au travail, vie simple mais avec beaucoup d'amour
MOISSONS
Merci à vous deux. J’ai écrit ces textes à quelques jours d’intervalle il y a une dizaine d’années. En les retravaillant m’est venu le souvenir des tableaux du moyen âge, les riches heures du Duc de Berry, et bien entendu toutes les références que tu cites, Périscope, sont aussi les miennes.
Ceci dit il y a aussi du vécu et je suis frappée de me rendre compte que l’ensemble à une valeur de témoignage du changement qu’il montre de la vie paysanne
.
Le premier peut se rattacher à un souvenir d’enfance, dans le Gers où je passais chaque année des vacances familiales. On avait été invités au « dépiquage » dans une ferme. À l’époque, la « dépiqueuse », monstrueuse machine, allait de ferme en ferme pour dépiquer le blé qui venait d’être moissonné. Et tous les fermiers suivaient eux aussi la machine qui nécessitait une main d’œuvre importante.
Dans la ferme on avait dressé partout des tables pour l’impressionnant repas de midi que les femmes avaient préparé depuis le matin. Je me souviens que tout semblait démesuré : le nombre de convives, la chaleur, la dureté du travail, l’ambiance de fête, le nombre de plats (l’époque était à l’agriculture de subsistance, chaque ferme avait des vaches, lapins, poules, canards, cochons, vignes et potagers). Les gens n’avaient pas d’argent mais mangeaient très bien. Je crois que j’étais impressionnée aussi par le corps des gens, la force, ça se sent dans le texte. Je n’ai que ce souvenir de moisson, mais beaucoup d’autres de travail agricole, souvent plus solitaire.
Le dernier renvoie à une expérience beaucoup plus récente : une fin d’après-midi, de retour du travail sur la route de Corbie à Amiens : je m’étais demandé ce qu’étaient les volutes de fumée jaune pâle qui progressaient au loin dans la plaine, une belle vision.
Entre les deux, des jeux dans une grange inutilisée mais encore parfumée de l’odeur de la paille qui y était entreposée...la petite émotion assise sur le plancher, au bord du trou qui servait à basculer les bottes, avec quelques mètres de vide au dessous. On jouait librement dans toutes sortes d’endroits.
Ceci dit il y a aussi du vécu et je suis frappée de me rendre compte que l’ensemble à une valeur de témoignage du changement qu’il montre de la vie paysanne
.
Le premier peut se rattacher à un souvenir d’enfance, dans le Gers où je passais chaque année des vacances familiales. On avait été invités au « dépiquage » dans une ferme. À l’époque, la « dépiqueuse », monstrueuse machine, allait de ferme en ferme pour dépiquer le blé qui venait d’être moissonné. Et tous les fermiers suivaient eux aussi la machine qui nécessitait une main d’œuvre importante.
Dans la ferme on avait dressé partout des tables pour l’impressionnant repas de midi que les femmes avaient préparé depuis le matin. Je me souviens que tout semblait démesuré : le nombre de convives, la chaleur, la dureté du travail, l’ambiance de fête, le nombre de plats (l’époque était à l’agriculture de subsistance, chaque ferme avait des vaches, lapins, poules, canards, cochons, vignes et potagers). Les gens n’avaient pas d’argent mais mangeaient très bien. Je crois que j’étais impressionnée aussi par le corps des gens, la force, ça se sent dans le texte. Je n’ai que ce souvenir de moisson, mais beaucoup d’autres de travail agricole, souvent plus solitaire.
Le dernier renvoie à une expérience beaucoup plus récente : une fin d’après-midi, de retour du travail sur la route de Corbie à Amiens : je m’étais demandé ce qu’étaient les volutes de fumée jaune pâle qui progressaient au loin dans la plaine, une belle vision.
Entre les deux, des jeux dans une grange inutilisée mais encore parfumée de l’odeur de la paille qui y était entreposée...la petite émotion assise sur le plancher, au bord du trou qui servait à basculer les bottes, avec quelques mètres de vide au dessous. On jouait librement dans toutes sortes d’endroits.
MOISSONS
Je trouve intéressant ce mélange de couleurs et de détail, du ciel au sourcils, des montagnes lointaines aux bouteilles en plastique, des nuages aux engins agricoles. Il se diffuse toujours une certaine torpeur dans tes textes. Une présence rêveuse, entre terre et éther. Ecriture d'un mouvement délicieux, de cette sueur coulant le long du dos... En fait tout est précis mais les couleurs se superposent. C'est un peu de l’impressionnisme.
MOISSONS
Torpeur...oui.
Je me suis souvent demandé pourquoi j’écrivais, où était ma faille à moi. Je crois que c’est le fantôme de ma grand-mère paternelle qui erre dans un arrière-plan, où mon père a dû toujours la chercher, après qu’elle soit brutalement morte à 35 ans. Comme si l’amour le plus beau et plus vrai était « ailleurs ».
Ou bien c’est l’enfant qui aurait dû naître 6 mois avant moi. Ou ma première tante, Lucie, morte à 18 mois d’une diarrhée, qui avait les yeux bleus et dont je n’ ai entendu parler qu’a 17 ans. Je suis à peu près sûre que c’est des affaires de fantômes bien-aimés.
Je me suis souvent demandé pourquoi j’écrivais, où était ma faille à moi. Je crois que c’est le fantôme de ma grand-mère paternelle qui erre dans un arrière-plan, où mon père a dû toujours la chercher, après qu’elle soit brutalement morte à 35 ans. Comme si l’amour le plus beau et plus vrai était « ailleurs ».
Ou bien c’est l’enfant qui aurait dû naître 6 mois avant moi. Ou ma première tante, Lucie, morte à 18 mois d’une diarrhée, qui avait les yeux bleus et dont je n’ ai entendu parler qu’a 17 ans. Je suis à peu près sûre que c’est des affaires de fantômes bien-aimés.
MOISSONS
De brumes plus que de fantômes, peut-être. C'est marrant, mais lorsque je lis Bonnefoy par exemple, je vois des couleurs. Ca me fait pareil lorsque je te lis.
Après, chez Bonnefoy c'est très universitaire, j'ai toi il y a la goutte de sueur entre les omoplates, il y a les bouteilles en plastiques. Autant de détails qui percent à travers la brume.
Après, chez Bonnefoy c'est très universitaire, j'ai toi il y a la goutte de sueur entre les omoplates, il y a les bouteilles en plastiques. Autant de détails qui percent à travers la brume.
MOISSONS
Des fois ça m’agaçait de lire des bouquins entiers de poésie où n’apparaît jamais le moindre détail du monde de maintenant. Impression de gens qui le fuient, dans un passé « éternel » rassurant.