Figures (l'absent)

par Écrire, samedi 24 janvier 2015, 17:37 (il y a 3383 jours)

C'est à l'occasion de ce court déplacement entre la chaise et la buvette qu'elle avait croisé son béguin d'enfance. A la surprise initiale s’ajouta un vertige d’impressions contradictoires qui oscillèrent un instant de l’exotisme à la familiarité avant de se stabiliser dans la reconnaissance mutuelle. Pour sûr, ils avaient tous deux changés, chacun à leur façon. Il s'était étoffé et ses traits s’étaient affirmés. Elle avait embelli, sans en prendre toute la mesure, du moins jusqu'à ce que ce regard éloquent la lui révèle. La seconde d'après, ils rejoignirent l’animation. Des visages les frôlaient dans la chaleur épaisse. On eût dit de petites météorites enflammées. Le tohu-bohu interdisait le partage de confidences et cantonnait les propos à l’émission de quelques vocables. Bâillonnés par le bruitage, leurs mains assignées aux emplacements licites, les danseurs faisaient assaut de regards appuyés et de pressions discrètes. Toutes les décisions étaient prises par des corps dont la proximité remuante engendrait de sourdes appétences.

Figures (l'absent)

par zeio @, samedi 24 janvier 2015, 23:08 (il y a 3383 jours) @ Écrire

C'est dense, le moindre mot est pesé, choisi, ça se sent. Quand catrine parle "d'horloger" ça fait sens, il y a une certaine mécanique bien huilée là-dedans, qui ne joue pas tellement sur les sonorités, mais plutôt sur les images, sur la surprise. Aucune pause dans le mouvement, chaque phrase prend une nouvelle direction, ajoute une nouvelle roue dentelée en l'occurence. Il y a aussi un humour sous-jacent, et beaucoup d'étrangetés/trouvailles : "Bâillonnés par le bruitage", "Ils rejoignirent l'animation", "mains assignées aux emplacements licites"...
Et le tout est élégant je trouve.
Au fait, est-ce un fait vécu, un fait observé, ou pure invention ? (mais peut-être que tu préfères garder le mystère)

Figures (l'absent)

par Écrire, samedi 24 janvier 2015, 23:46 (il y a 3383 jours) @ zeio

Bonsoir Zeio.

Je peux répondre à ta question en toute sincérité et néanmoins, sans dévoiler le mystère : il ne s'agit pas de vécu, ni d'observation. Pour autant, on ne peut pas parler de "pure invention". Peut être qu'un jour je m'expliquerais plus avant sur ce point, si jamais l'occasion m'en est donné. Pour l'heure, j'ai le sentiment que ce serait prématuré. Ce n'est pas cachotterie de ma part, car ce mystère auquel tu fais allusion n'est pas pour rien dans ma motivation à écrire. Sans doute même est-ce le principal "moteur" du texte.

Merci pour ta lecture en finesse.

Figures (l'absent)

par zeio @, dimanche 25 janvier 2015, 16:10 (il y a 3382 jours) @ Écrire

D'accord. Mieux vaut alors ne pas révéler au "passager" du texte, de quoi est constitué le moteur. Peut-être s'agit t-il d'une réalité modifiée, à la Proust ? Où l'expérience passée se mêle à l'imaginaire présent...
D'ailleurs j'ai lu "Contre Sainte-beuve" il y a peu. Dans ce livre "pré-recherche" l'épisode de la madeleine est esquissé, mais il ne s'agit ni de madeleine, ni de sa tante léonie. C'était d'abord une tranche de pain grillé, trempée dans le thé (et non dans une tisane de tilleul), que lui a apporté la cuisinière et non sa tante..
Jean-pierre Richard dans "Proust et le monde sensible" a bien expliqué pourquoi il était essentiel pour proust de métamorphoser le pain grillé (quelque part agressif, sec, cassant, sonore, grossier, mâle) en madeleine (douce, sucrée, fondante, silencieuse, en forme de coquillage symboliquement féminin), tout dans proust est question de matières/substances, d'ingestions symboliques, de la façon dont les aliments et à travers eux, les souvenirs, se décomposent en bouche et deviennent sa propre chair. Peu importe la réalité factuelle des récits, c'est la sensation qui importe et qui véhicule sa vérité intime.

Figures (l'absent)

par Écrire, mercredi 28 janvier 2015, 21:00 (il y a 3379 jours) @ zeio

Tu as raison. Chaque terme qui se présente à l'esprit monte d'emblée sur une balance. Parfois à plusieurs reprises. C'est comme un boxeur convié " à la pesée". S'il ne fait pas le juste poids, il passe son tour.