Contractions?

par Rémy @, vendredi 13 mai 2016, 21:59 (il y a 2911 jours) @ 411

Les réponses sont oui il faut écrire les contractions, oui on peut parler de poésie pour le rap et oui il y a des récitals de rap.

La poésie est née avant l'invention de l'écriture, du besoin de dire les choses en rythme et avec des assonances, pour mieux les retenir, et du plaisir qu'il y a à le faire et à l'écouter. Le rap n'est rien d'autre qu'une forme primitive de poésie, qui coïncide d'ailleurs avec la poésie qui se pratique dans les langues peu ou pas écrites.

Il se trouve que la langue française parlée est très éloignée de la langue française écrite : une foultitude de lettres écrites ne sont pas prononcées, en particulier toutes les terminaisons grammaticales.
Il se trouve aussi que la langue française écrite utilise la lettre e pour noter un grand nombre de phénomènes sonores, entre autres, elle note ainsi le schwa ("e muet", qui se prononce parfois mais pas toujours, comme dans "vaguement", prononcé "vagueumeng" à Marseille mais "vagment" à Paris), et elle l'utilise pour différencier les syllabes ouvertes des syllabes fermées (exemple : dans "vert", le t ne se prononce pas, dans "verte", le t se prononce mais pas le e => le e final sert à noter le fait que la consonne précédente se prononce).
Du temps de l'écrit-roi ont été mises en place des règles très artificielles de diction de la poésie écrite. Bizarrement, alors que la langue française était issue de Versailles où l'on parle plutôt un dialecte du nord de la France, la convention qui s'est cristallisée en poésie du XVIIe au XIXe siècle est de prononcer les e muets, comme ça se fait dans le sud de la France. Le comble du grotesque a été atteint en exigeant de prononcer les e qui servaient seulement à noter le fait qu'une consonne se prononçait, et en interdisant d'en mettre à l'hémistiche. Le XXe siècle a abandonné cette conception ampoulée de la lecture, surtout pour les poèmes qui doivent absolument se dire en rythme, à savoir les paroles de chanson. Piaf chante "ç'que les aut' pens' de nous, j'm'en fous", c'est-à-dire qu'elle prononce à la manière parisienne et pas comme une Marseillaise ni à la façon emperruquée du XIXe siècle.

Remarque : on n'utilise pas toujours un e pour indiquer qu'une consonne finale se prononce. Il arrive qu'on se serve d'un h, surtout dans les mots germaniques : bismuth. Et quand on veut transcrire du français oral sans donner au lecteur la possibilité de prononcer les e, on utilise l'apostrophe, comme ci-dessus dans le vers de Piaf.

La question qui se pose dans le cas du rap, qui est un art plutôt oral, c'est : si on l'écrit, qu'est-ce qu'on veut faire de ce texte ? À vue de nez, le but de coucher du rap par écrit, c'est de le transmettre autrement qu'en MP3. Si tu l'écris à la manière d'un livre d'école, en y mettant tous les e, tu donnes au lecteur la possibilité de choisir d'en prononcer d'autres que toi - autrement dit, tu as transmis la signification du truc mais pas son rythme. C'est comme donner à quelqu'un le livret d'un opéra sans la partition, sans les costumes, sans la mise en scène, etc. : ça peut avoir un intérêt mais tu n'as transmis qu'un tout petit aspect de l'œuvre. Donc si tu as l'intention de transmettre le rythme (ce qui est quand même la moindre des choses dans du rap), il faut indiquer les contractions.
Dans les cas où ça ne provoque pas d'ambigüités de prononciation, tu peux simplement supprimer les lettres non prononcées : "jmen fous". Seulement comme ça colle des tas de mots ensemble, ça devient hyperdur à lire : avec "çque les autpensde nous", t'as largué le lecteur, pareil si tu écris "tas" au lieu de "t'as" : il vaut mieux mettre des apostrophes pour qu'on s'y retrouve sans trop de difficultés.
D'une manière générale, quand on écrit, c'est une bonne idée de se souvenir qu'on doit rendre service au lecteur pour qu'il n'aille pas voir ailleurs avant la fin. Si c'est un lecteur avec un balai dans le cul, on lui rend service en respectant l'orthographe fleurie du XIXe siècle, mais si c'est un lecteur normal, il faut juste se débrouiller pour qu'il puisse lire sans trébucher tous les trois mots. C'est d'ailleurs l'argument principal contre le langage SMS : ce serait une manière habile d'aligner le français écrit sur le français oral, surtout pour du rap, mais on n'y est pas encore assez habitués, surtout pour des textes longs, donc c'est trop laborieux à déchiffrer, il vaut mieux utiliser des apostrophes.

Un récital de rap, ça s'appelle un concert, un jam, une session... Ça ne se fait pas dans un salon de la haute autour d'un piano à queue, et puis les costumes des chanteurs et musiciens sont légèrement différents, mais au fond du fond, c'est la même chose.

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