Surveillance

par Rémy @, vendredi 03 mars 2017, 23:20 (il y a 2614 jours) @ Claire

Je crois que l'effet thérapeutique d'un moment de complicité avec sa sœur respective faisait plus de bien à l'une comme à l'autre que tout ce que les pilules échangées auraient pu avoir comme effets indésirables. D'ailleurs on aurait bien du mal à dire quels effets de ces pilules étaient réellement indésirés, vu les circonstances. J'espère seulement que les deux clignaient de l'œil en faisant l'échange : le rire est rare, quand Alzheimer a pointé son nez, et précieux.

Elles sont mortes maintenant, ça fait bizarre, je préfèrerais pouvoir leur dire coucou de temps en temps ; et en même temps je crains de dire coucou à ceux de ma famille qui sont à peu près aussi éloignés qu'elles ne l'étaient mais encore vivants, de peur qu'ils ne comprennent pas que c'est seulement une pensée, un salut qui n'appelle pas de réponse, et qu'ils engagent une conversation que je ne saurais pas poursuivre...
Un ami d'enfance de mon père m'a écrit récemment à propos de mes œuvres informatiques, et envoyé des photos, et que lui répondre ? La dernière fois que je l'ai vu, j'avais 9 ans, je chantais un Schubert, il avait voulu m'accompagner, mais je n'avais pas compris quand il fallait que je démarre, ç'avait loupé, j'en ai encore honte ; maintenant j'accompagne des chanteurs et je sais comment faire pour qu'ils démarrent au bon moment, mais ils n'ont pas non plus 9 ans ; c'est au cours du même séjour chez lui que j'avais entendu le premier disque de George Zamfir, que j'écoute encore avec plaisir, il venait de sortir à l'époque, mais la réclame pour les nouveautés n'était pas encore si tapageuse qu'aujourd'hui, et on pouvait se refiler un tuyau en toute franchise sans passer pour le dernier des ringards qui citerait des publicités ; dans le village j'avais essayé de cueillir une citronelle qui poussait dans une fissure entre route et mur, mais l'habitante de la maison dont faisait partie le mur m'avait chassé, re-honte, et je n'ai plus jamais retrouvé de citronelles ; et il faisait un de ces printemps frisquets typiques du Massif Central, où le soleil vous cogne la tête alors que l'air vif vous gèle pieds et mains ; comment, à partir de ces souvenirs d'enfance, donc inconfortables et humiliants, comme tous les souvenirs d'enfance, mener une conversation avec quelqu'un que je ne connais quasiment pas et presque seulement par ouï-dire ? Je n'ai pas lu son mail, je crois que je ne le lirai pas, d'ailleurs j'écris souvent des choses qui n'appellent pas de réponse ni même de lecture, alors peut-être que lui aussi. Espérons que lui aussi. D'un autre côté, ce sont des gens très gentils, je n'ai pas de raison de le décevoir en ne répondant pas s'il espère une réponse. Que faire, c'est bien embêtant.

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