Un air de tropisme...(3ème et dernier couplet)

par Périscope @, dimanche 17 septembre 2017, 17:11 (il y a 2413 jours)

Un air de tropisme... (3ème et dernier couplet)


Il ne mange pas avec ses doigts. Il pique méticuleusement avec
les dents de sa fourchette ses morceaux de carotte. Il se verse, de la
carafe à son verre, un rosé insipide, mais frais. Les manches longues
de sa chemise sont soigneusement repliées sur ses bras puisque c’est

le mois de mai. Il ne regarde pas les gens autour de lui. Il est seul
à sa table, tandis que les clients dans le reste de la salle occupent
d’autres tables avec leurs enfants, leur famille, leurs amis.
Il y a une télévision suspendue au mur en hauteur qui diffuse

le journal télévisé. La tribune du stade s’est effondrée. La clarté de
midi s’infiltre par les portes vitrées ouvertes dont les rideaux
légèrement se balancent sous l’effet d’un vent coulis tiède. Si les
yeux basculent sous la table, ils peuvent voir les jambes

du client solitaire. Jambes puissantes que moule un pantalon
de couleur écrue. Le bilan est de dix huit morts et deux mille
trois cents blessés. Les yeux s’attardent sur l’entrejambe et
remontent vers le visage anguleux, au menton carré, mais dont

le regard absent se fixe nulle part. Le front haut se perd
sous les mèches bouclées qui adoucissent le tout. Les informations
du téléviseur pleuvent sans que personne y prête attention.
Pris de panique les gens sont écrasés les uns contre

les autres. La tribune avait été montée provisoirement au dernier
moment. On apporte au client solitaire une cassolette de flageolets
tarbais. Il se verse une rasade copieuse de rosée et plante
les dents de sa fourchette dans les flageolets qu’il mastique

lentement. Le regard de l’autre client qui l’observe ne peut déceler
rien de plus profond. Il se plait à supposer que le client aux
jambes puissantes est un vrp et qu’il passe une nuitée
professionnelle dans l’auberge de province. Il aurait pu aussi bien

lorgner une autre personne, il faut croire que celle mangeant
des flageolets est plus remarquable. Celui-là a la coiffure
encore mouillée d’une douche matinalement prise. Sa chemise
est propre ainsi que le pantalon dont le pli résiste à la tension des

jambes qui le distend. Ce fut un choc difficilement avouable, quand
le regard du solitaire a croisé par hasard le regard de l’autre solitaire
qui le toisait. Le temps d’un éclair, le présent s’est mélangé
à d’autres instants. La météo succède aux informations du journal télévisé.

Fin

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