Le rebord des falaises

par 411, dimanche 16 décembre 2018, 13:47 (il y a 1957 jours)

Ecrire de la poésie c’est attendre le premier vers, c’est être, sans cesse, sur le pas de la porte. Aussi affamé que terrifié par cette faim. Car le premier vers trouvé, la vraie seule fulgurance, annonce un enfer terrible, annonce un enfermement dans le verbe. Sortir d’un poème est très difficile: on ne veut ni sortir trop tôt ni sortir trop tard. Il faut quitter le poème au bon moment. Sinon celui-ci se referme sur vous, et vous étouffe, et vous torture. Vous avez une attente dans la tête, et trop attendre vous rend fou.
N’écrivez pas uniquement des poèmes, ça vous tuera. La poésie est l’art le moins cher ; il n’y a même pas besoin de papier pour imaginer un poème de trois lignes, un haïku, un ressenti, une présence au monde. La poésie ne coûte rien mais elle n’est pas gratuite: elle est pareille à la fin d’un orgasme, au retour à la réalité, à la fatigue qui vous reprend corps et pensée. Le poète se fout d’un poème fini, il ne tend que vers le prochain shoote, la prochaine décharge de foutre, le prochain orgasme. Et moi, qui suis «né endormi», je vis l’écriture verticale comme un élan vital qui me fait, d’ordinaire, totalement défaut. A travers le vers (et le verre qui l’accompagne) je vois un reflet, et celui-ci est exact, mais je ne m’en souviens jamais. Aussi, ai-je toujours l’envie de revoir ce reflet, et pour cela il me faut écrire, encore et encore, maintenir un cap dans la déraison, ne pas halluciner pour rien, ne pas me défoncer pour rien, ne pas boire, souffrir, aimer pour rien. Chaque chose devient prétexte au poème, elle est là l’addiction ultime, et toutes mes addictions secondaires ne sont qu’un passage vers le poème, vers la réalisation, quand le cœur bondit si fort que tout le corps en tremble. Dieu de Dieu. La transcendance me console, l’imaginaire est une terre que j’aime à parcourir de long en large, dans les recoins, sur le bord des falaises.

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