Propos corollaire

par Cerval @, lundi 27 avril 2015, 21:42 (il y a 3295 jours) @ Cerval

Il est des choses que je n’ai jamais connues qu’en pensée : comme si c’était différent des autres modes d’expérience!

Ce serait peu. La vie est là au pas de sa porte : on s’y essuie les pieds, par dédain ; on fait toutes sortes de choses par dédain, on irait presque jusqu’à se tuer ; puis on regrette. Si on agit, c’est qu’il est trop tard. Lorsque je fais quelque chose c'est parce qu'elle aurait pu être différente, c'est pour cela que je m'y commets. Mais on ne peut juger que sur pièces. Le possible après l’action ne fait pas partie des raisons soupesables. L’imagination de sa vie ne regarde personne, souvent même on voit des gens qui l’abandonnent au sommeil. Alors on finit par se sentir vieillir. Comme notre représentation du temps est discrète on s’imagine le vieillissement graduel, mais cela arrive tout au coup du moment où l’on en prend conscience. Un jour, on doit prendre en compte ce qui a été fait, même si fait parce qu’il semblait ne pouvoir être rien d’autre que fait. On laisse à l'imagination le liseré d'une séquence de gestes. Pour juger on apporte ses propres pièces, dont on ne pourra plus se défaire. Ah! ce n'est pas un gai. Mais ce n'est un évènement qu'au sens mécanique, ce n'est pas réellement un évènement. Tant de choses réelles arrivent: des choses on ne peut que prendre le parti.

C'est pour cela que j'ai mis tant d'application à être amoureux. Le temps est la seule monnaie qui trouve cours aux doigts des honnêtes gens. On ne fait pas meilleur usage de son temps que dans l'amour où il n'y a plus de temps propre. Si l'alternance des jours et des nuits est par la fenêtre un métronome comme un autre, la pensée elle peut très bien changer de soleil. Ce n’est pas dire penser toujours à quelqu’un mais convenir de sa présence devant l’estrade où l’on agit. Et précisément quand cela n’a rien à voir avec lui, ou lorsqu’il s’agit de perdre son temps, si cela vous chante. Le temps perdu devant une autre mesure que la sienne rebondit comme la lumière sur le miroir. Quand on est amoureux, on ne peut plus vieillir.

Tout change lorsqu'on surveille son âge. Chacun finit par se sentir vieillir. Le passé se raidit comme un squelette alors que l'instant d'avant on voyait les os courir comme de l'eau. Il n'y a pas à être triste : ce qu'on connait déjà, ce n'est pas triste ; tout au plus, c'est de l'ennui. Il n'y a pourtant pas plus aberrant qu'une vie ennuyeuse.

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