qu'importe moi, mon histoire

par loulou, mercredi 03 janvier 2018, 09:06 (il y a 2320 jours) @ loulou

Qu'importe moi, mon histoire. Je la relate parce que je la sais, je lui en troquerais d'autres si je les savais aussi bien. Cette remarque est si évidente qu'elle confine presque à la vulgarité. Telle pensée, tel corps, tels autres, le plus difficile c'est de choisir. Toutes les passions sont extérieures, l'amour est dans les rues. La vie ressemble à ce qu'elle veut bien laisser dire d'elle comme un tissu entre les mains d'un aveugle. La vie! J'ai d'autres préoccupations : l'Univers. Excusez-moi. Mais je suis trop prudent : je n'aime pas relater des histoires qui ne sont étayées que par mon imagination et insuffisamment en elles-mêmes (qui est la prérogative du monde extérieur). J’ai vécu la plus grande part des choses que je connais dans l'imagination de mondes possibles, qui sont ce monde-ci à la condition de ne changer qu'un ou deux paramètres. Ces variables demeurent contrôlées et constantes tout au long du récit. Ce ne sont pas des histoires à proprement parler, je peux donc les dire...

Les voici :

* Je donne un peu de mon soleil au ciel, qui n'en veut pas. Dommage : gardé suffisamment à mes entrailles il commençait à exhaler la pourriture et, comme ce qui se décompose émet de la chaleur, on aurait pu en obtenir des printemps supplémentaires. Il fait parfois un temps magnifique et sordide. On doit rendre compte de l'aide qu'on accepte, je ne l'ai pas fait parce que je suis négligent, mais depuis je ne peux plus reconnaitre où est le bien, où est le mal. Ce sont les évènements qui m'en informent une fois accomplis, comme on prévient de la date d'un contrôle le camarade arrivé en retard. Lorsque le monde s'organise il n'y a plus qu'à en prendre son parti. Devant le fait accompli il suffit de produire les justifications qui transforment l'impératif en choix. Mais derrière ces pas chassés l'on pressent que, là encore, la logique s'en mêle. Décidément. Qu'il nous soit autrement permis, à prédire les conséquences de nos décisions, de nous tenir à ces dispositions suffisamment heureuses d'avoir été une fois élues. Mais ces pensées, comme les nuages, un rien de vent les congédie puis les ramène. Elles tressaillent mentalement comme le trousseau de clefs qu'on cherche. Nul n'est prophète en son pays intérieur. Tant qu'on ne se retourne pas sur les raisons de ses gestes, tout va bien : ça donne le torticolis.

* Je rencontrais naguère quelqu'un qui me montra ses paragraphes les plus intimes. On reste dans le domaine de l'anecdote. La manière me plaisait. Les anecdotes font battre le coeur. Le papier peint était d'une couleur que je n'aurais pas choisie, je n'aimais pas la tenue des meubles, des fautes de goût, qui sont dans l'espace des fautes de syntaxe, comme une fausse note l'est dans l'espace de la musique, une maladresse enfin, trébucher. Mon oeil qui se promenait sur ses meubles trébuchait, mais je m'y sentais bien, puis je m'en suis ennuyé comme de moi-même. J'ai refermé ce livre, ce qui est une métaphore. J'ai lu beaucoup de livres et en même temps peu. J'ai refermé le mien il y a quelques années. Tout ce que je vis est une sorte d'épilogue qui s'écrit la nuit, parce qu'il m'arrive assez souvent de ne pas dormir. Il ne s'agit pas de ne pas arriver à dormir : je n'essaye pas. On ne fait rien de mieux que ce qu'on fait négligemment. Je n'essaye pas de dormir avec un talent rare. Je fume trop. Trop ce n'est jamais assez, car l'amour est la plénitude du manque. La nuit sent la cigarette, le tabac froid, elle a les dents qui jaunissent, puis l'aube vient. Je ne suis plus assez talentueux pourtant pour tenir jusqu'à l'aube : j'ai un travail, des obligations, toutes les obligations s'appellent les unes les autres, ont leur logique, dont la densité augmente, et enflant, recouvre de l'intérieur les autres combinaisons possibles, combinaisons de loisir ou d'ennui ou de lectures ou de plaisirs. Si bien que tout est déterminé par elles comme le thème de la phrase par le squelette qu'on lui imagine. Lorsque je n'ai rien à faire, je m'ennuie, c'est une tâche de vin sur la nappe de ma journée, qui part au lavage de l'attente. Le temps que je perds ne se récupérera pas : il est foutu.

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