div, est-ce que tu crois que je suis un poète raté ?

par jude, dimanche 05 avril 2015, 23:25 (il y a 3318 jours) @ dh

Pour répondre à une question que vous m'avez posée ailleurs, je ne pense pas que faire lire votre recueil à moi ou à qui que ce soit d'autre vous aide, dh. Ce n'est pas en multipliant de façon compulsive vos sollicitations auprès d'autrui que vous trouverez une force afin d'avancer, de tenir. Pour chacun d'entre nous, c'est en nous-mêmes qu'il faut la chercher. Certains la possèdent presque naturellement ; d'autres la poursuivent toute leur vie en se tordant de doute et de douleur. L'existence est injuste. Il n'y a rien à faire : elle ne changera pas. Se battre chaque jour et même alors que l'on n'y croit plus ou pas est la seule dignité, la seule solution. Traverser des Saharas, échapper aux déluges et ne jamais voir arriver le rivage est le lot de beaucoup d'hommes. Mais qui suis-je pour vous parler ainsi ? Mieux vaudrait, pour vous donner le courage de serrer les dents et d'avancer, vous rappeler le texte (que vous devez connaître) de Rilke dans ses lettres à un jeune poète :

 « …..
Vous demandez si vos vers sont bons. Vous
me le demandez à moi. Vous l’avez déjà
demandé à d’autres. Vous les envoyez aux
revues. Vous les comparez à d’autres poèmes et
vous vous alarmez quand certaines rédactions
écartent vos essais poétiques. Désormais (puisque
vous m’avez permis de vous conseiller), je vous
prie de renoncer à tout cela. Votre regard est
tourné vers le dehors
; c’est cela surtout que
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maintenant vous ne devez plus faire. Personne ne
peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il
n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même,
cherchez le besoin qui vous fait écrire
: examinez
s’il pousse ses racines au plus profond de votre
cœur. Confessez-vous à vous-même
: mourriez-
vous s’il vous était défendu d’écrire
? Ceci
surtout
: demandez-vous à l’heure la plus
silencieuse de votre nuit
: «
Suis-je vraiment
contraint d’écrire
?
» Creusez en vous-même vers
la plus profonde réponse. Si cette réponse est
affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi
grave question par un fort et simple
: «
Je dois
»,
alors construisez votre vie selon cette nécessité.
Votre vie, jusque dans son heure la plus
indifférente, la plus vide, doit devenir signe et
témoin d’une telle poussée. Alors, approchez de
la nature. Essayez de dire, comme si vous étiez le
premier homme, ce que vous voyez, ce que vous
vivez, aimez, perdez. N’écrivez pas de poèmes
d’amour. Évitez d’abord ces thèmes trop
courants
: ce sont les plus difficiles. Là où des
traditions sûres, parfois brillantes, se présentent
en nombre, le poète ne peut livrer son propre moi
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qu’en pleine maturité de sa force. Fuyez les grand
sujets pour ceux que votre quotidien vous offre.
Dites vos tristesses et vos désirs, les pensées qui
vous viennent, votre foi en une beauté. Dites tout
cela avec une sincérité intime, tranquille et
humble. Utilisez pour vous exprimer les choses
qui vous entourent, les images de vos songes, les
objets de vos souvenirs. Si votre quotidien vous
paraît pauvre, ne l’accusez pas. Accusez-vous
vous-même de ne pas être assez poète pour
appeler à vous ses richesses. Pour le créateur rien
n’est pauvre, il n’est pas de lieux pauvres,
indifférents. Même si vous étiez dans une prison,
dont les murs étoufferaient tous les bruits du
monde, ne vous resterait-il pas toujours votre
enfance, cette précieuse, cette royale richesse, ce
trésor des souvenirs
? Tournez là votre esprit.
Tentez de remettre à flot de ce vaste passé les
impressions coulées. Votre personnalité se
fortifiera, votre solitude se peuplera et vous
deviendra comme une demeure aux heures
incertaines du jour, fermée aux bruits du dehors....  »

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