colère (suite)

par julienb, mercredi 16 septembre 2015, 19:02 (il y a 3358 jours) @ julienb

C’est le soir. Tu manges des haricots. Avoir l’âme pourrie et rongée par le Mal n’empêche pas de nourrir le corps, même si celui-ci est au fond dans le même état de corruption, rongé par la vermine.
Tu réfléchis. Ça t’arrive. Rarement. Tu observes la photographie jaunie posée sur la cheminée. Elle est là depuis si longtemps que tu ne sais même plus ce qu’elle y fait, et encore moins qui l’y a mise. Une épaisse pellicule de poussière la recouvre – comme pour tout ce qu’on trouve chez toi d’ailleurs. C’est un vieux cliché noir et blanc, un peu craquelé et racorni. Voyons… Un jeune couple de paysans. Lui est un solide gaillard du pays, campant son grand corps au garde-à-vous. La jeune femme est plutôt laide. Même franchement laide à y bien regarder. Elle sourit. On la devine noiraude, solide elle aussi, une vraie campagnarde. N’y aurait-il pas un petit air de famille avec toi ? Elle tient par la main un petit morveux à l’air taciturne et renfrogné. La scène a lieu devant la ferme. C’est bucolique et indéniablement attendrissant. Tu ne te souviens pas ? L’idiotie t’a-t-elle rongé au point que tu ne saches plus reconnaître ta propre image ? Toi, ce petit garçon. Déjà idiot, déjà méchant, je me le rappelle si bien. Quelque chose ne va pas ? Tu as l’air contrarié… fâché même. Mon vieil ami, réellement, tu souffres ? Non ? Tu as du vague à l’âme, des interrogations sur ta condition, alors ?… Tu es vraiment drôle, vieille pourriture. Oublierais-tu que c’est de la souffrance des autres, hommes et animaux, qu’habituellement tu te repais, et non de la tienne ? Ressaisis-toi : il ne te reste rien de cette époque, pas même un souvenir. Ne perds pas ton temps à penser, tu le fais trop mal. Tourne-toi plutôt vers ce que tu connais : le Mal – tu le fais si bien. Tu te mets à tousser comme un damné (façon de parler !), manques t’étouffer : tu as avalé de travers ? Ça t’énerve ? Quelle blague ! Tu envoies assiette et haricots contre le mur. Très amusant, bravo. Tu te lèves. Tu nous quittes déjà ? Tu retournes à la cave ? J’aime beaucoup quand tu joues à la poupée… Oui, retourne à tes aiguilles, à tes chiffons. Tu n’as que ça. Tu n’es que ça. C’est là ta seule réponse possible à la vie. La vie ? On a de ces mots parfois ! Peut-on appeler vie ton sursis, immonde charognard ? Tu es un animal, tu grognes et tu pues comme un animal. Est-ce qu’une bête a conscience de vivre ? Crois-moi, mon vieux, continue à faire selon ta nature, et tiens t’en à ça.

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