Débriefing de campagne

par Claire, vendredi 19 juin 2015, 18:01 (il y a 3447 jours) @ Rémy

eh bien par exemple dans un domaine que je connais un peu, les directeurs d'établissements pour enfants handicapés étaient autrefois (en général) d'anciens éducateurs spécialisés, qui connaissaient très bien la réalité du travail, qui sont ces enfants, comment faire avec les parents ; qui avaient des notions assez approfondies de psychologie et de pédagogie etc..... De plus en plus, ils sont remplacés par des petits jeunes frais émoulus de filières ad hoc, bien formatés, qui savent surtout comment être en règle face aux procédures administratives, comment gérer un budget en serrant au maximum, et comment "manager" une équipe avec habileté. On a vite l'impression qu'ils sont très peu éloignés des logiques de management lambda de toute entreprise ou administration, et que la spécificité même du travail, ses valeurs, le savoir-faire acquis, ça ne fait pas partie de leur imaginaire personnel, même s'ils font un peu semblant.
Ça se sent dans leur façon de s'exprimer, dans leur vocabulaire ampoulé et indifférencié de gestionnaire, dans leur approche des relations humaines à l'intérieur de l'équipe.

Le bla-ba sur les "usagers", les "bonnes pratiques", les "aidants", le mode de pensée qu'il y a derrière tout ça, vaguement faux-cul, soumis aux instances supérieures, à une législation foisonnante, opportuniste, obsédé d'économie, et croyant tout savoir sans avoir jamais pratiqué en vrai, je crois qu'on le voit dans des pans entiers de la vie sociale. La créativité et la débrouillardise, l'adaptation à des réalités ambigües et complexes, ça ne fait pas partie de la formation.

Pour donner un autre exemple, la MDPH [= "Maison" départementale des personnes handicapées....("maison", tout la poésie de la nouvelle langue administrative, j'aimerais pas y habiter dans cette maison-là)] a édité un imprimé à remplir pour les renseignements médicaux qui permettent d'orienter les décisions de la commission. Eh bien ils n'ont pas été fichus, au milieu des milliers d'imprimés qu'ils éditent, de créer deux imprimés différents pour les adultes et les enfants. Ce qui donne une nuance très kafkaïenne au résultat final.
De la même façon, les "évaluateurs externes" (que l'on appelle in petto les hommes en noir), quand ils viennent pour examiner l'accréditation d'une structure, utilisent exactement les mêmes fiches pleines de petites cases pour tous les établissements, de l'internat pour adolescent polyhandicapé à la structure de consultation ambulatoire.

C'est comme si toute la complexité de la pensée était déployée autour des arcanes administratifs et leur vocabulaires néo-formé, mais que les personnes auxquelles d'adressent les soins et les prises en charge étaient des petits pions interchangeables nommés "usagers", ou "patients".




Voilà, ça c'est pour ce que je connais, mais en écoutant les gens j'ai la forte impression qu'un glissement de ce type est à l'œuvre à peu près partout.

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