Poésies du silence

par (kelig), lundi 27 avril 2015, 14:15 (il y a 3296 jours) @ julienb

Ca me fatigue... Aussi je vais essayer d'écrire un texte pour couper court à cette vérité biaisée - typique du Nord - et qui n'a que trop duré.

Kény Arkana le chante : "Si tu veux changer le monde, commence par te changer toi-même." Alors oui.
Elle le chante, elle le pense, elle le fait, ce qui n'empêche qu'elle dénonce aussi ce qui est à dénoncer, ce qui n'empêche qu'elle est solidaire.
C'est trop compliqué, ça ? C'est se mentir ?
Ou alors c'est ne rien faire ne rien dire qui est consentir.

En attendant, ce poème vu ce we en compagnie de Laurent Bouisset lors d'une rencontre avec des poètes d'Amérique Latine :

Face à vous, nous nous tenons


Face à vous, nous nous tenons

Les rejetons
Illégitimes de la modernité
Nous autres.

Les fantômes de pays saignés à blanc
jour à jour enfantés à la mauvaise étoile
nous autres.

Ceux à qui on a fait les poches
Ceux qui n'ont jamais eu que leurs seuls ongles
Ceux dont l'espérance a été empoisonnée
nous autres.

Les rebuts et les misérables nous autres.

Nous autres les éternels concierges
du premier monde
accoutumés au temps partiel
ou bien carrément au chômage
qui nous fardons la queue pour le welfare
tandis que les yeux des puissants
nous reprochent l'existence
derrière la vitre.

Les hors-la-loi nous autres
les toxicos et drug dealers
nous autres.

Ceux qui ouvertement provoquent
ceux qui ne baissent pas la tête
ceux dont la langue est sale
soûlards de très mauvaise réputation
patibulaires
sans un centime en poche nous autres.

Ceux qui en crèvent, de rejoindre le nord
de faim de soif ou sous les coups
les balles ou bien noyés dans la fatigue
nous autres.

Ceux qui n'ont pas de mère
n'ont pas de père ni de patrie
ni même un domicile ou juste une chaise pour s'asseoir
ceux qui sont debout pour l'éternité
nous autres.

The little bastards
qui détruisent tout nous autres.

Ceux qui sont expulsés de toute chose nous autres.

Ceux qui n'ont aucun droit
Ceux qui sont sans famille
Ceux qui n'ont pas de tombe
Et nous sommes des cadavres vivants
nous autres.

Ceux qui gardent à leur cul la marque
de la botte militaire locale et étrangère
incessamment qui répétait :
va fils de pute va fils de pute
va crever fils de pute.

Et maintenant que tout s'effondre à la racine
ils nous veulent moines dominicains
sœurs d'une charité que nous n'avons jamais connue.

Nous autres mal perçus
par les bonnes gens
nous autres proies qu'on voue au sacrifice
nous, les boucs émissaires nous autres.

Les plus faibles et les rachitiques,
Les dont la présence incommode.

Les qui ne sont jamais les invités
du grand opening de l'humanité
qui toujours restent aux portes du banquet
dévorent des yeux sans rien acheter
et tournent en rond dans les centres commerciaux
incessants comme des papillons de nuit

Eux, les plus insolentes canailles
eux, les réfugiés permanents
à qui l'on ne fait pas confiance
que l'on n'estime capables de rien
car trop coupables de leur couleur
car trop coupables de leur accent
nous autres
nous autres
nous autres
nous autres
nous autres
mille fois nous autres

Face à vous, nous nous tenons nous autres.

Rejetons fugitifs de notre temps
enfantés et nourris au sein
de la corruption politique et des plus-values rayonnantes

Nous autres
qui ne nous en tenons pas aux frontières
qui recherchons l’Eldorado toujours
Indiana Jones à la boussole défectueuse
indiquant sans hésitation la direction du nord.

Ceux qui baissent leur froc
Nous autres.

Disons-le à pleine voix :
nous avons l'âme violée par le vingtième siècle
et tous les siècles antérieurs
pouvant s'énumérer de un à cinq

Nous expions une faute que nous n'avons jamais commise
sous-développement spirituel terrible du premier monde.

Nous sommes de cette usine mondialisée
le surplus inutilisable.
Les morts de faim toujours
ceux qui remplissent les prisons
et les premières pages des journaux.

Nous fûmes tout d'abord la victime l'assassin par la suite.
Nous sommes un souffle qui à peine se lève
et veut chanter une belle chanson inconnue.
/ Nous sommes aujourd'hui l'excrément
demain nous serons commencement
lune nouvelle soleil de l'aube
un point lumineux
une espérance valable
une paix qui ne soit mensonge.

Le jour nous touche au cœur soudain

tout s'illumine.


Julio C. Palencia


(Poème inclus dans le livre "Todos los silencios")

(Traduction de Laurent Bouisset, avec les précieux conseils de José Manuel Torres Funes et d'Alba-Marina Escalón)

http://fuegodelfuego.blogspot.fr/2014/10/aqui-estamos-nos...

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