Deuxième parole

par Cerval @, lundi 27 avril 2015, 21:38 (il y a 3500 jours) @ Cerval

Je te voyais dormir sans chercher à savoir la raison de cette habitude étrange qui te prend parfois lorsqu'obstinément moi je veille... et je retranche comme fait la mer, comme le temps fait de l'ombre des choses mes gestes de cet espace vivant, leur refuse un corps, une réalité. les gestes n'ont plus de théâtre sur cette terre et ils s'éparpillent partout où les mène le vent. voilà ce qu'il y a d'ennuyeux dans l'insomnie, on touche à toutes choses mais sans en changer la nature... on se relève comme l'étoffe d'un vêtement après un pas mal assuré ou comme les projets dans la pensée après dormir... je te prends contre mon coeur en pensée. mon coeur fume comme si toutes les cigarettes étaient dans sa voix, et qu'il ne parlait plus que des brouillards. j'attends très lentement que se défasse la nuit.

je t'ai attendue des jours et des jours, et je croyais que c'était ça ma vie, ce regard fébrile porté sur les choses, comme si elles allaient tout à coup se mettre à chanter, en déclinant leurs noms leurs fonctions. la chaise d'une voix fluette dira qu'elle est celle où je m'assieds aux frémissements de ta venue, la table dira qu'elle m'y a vu rouler des cigarettes en m'imaginant fumer devant toi, le lit dira... le lit... (il dira qu'il en a vu inventer des châteaux cernés par les douves de l'imagination et dedans des animaux bizarres et flous qu'on ne trouve que dans les souvenirs des rêves). et moi je dirai : je t'ai attendue des jours et des jours et j'oubliais finalement que je finissais par attendre, j'oubliais la vie de t'y oublier pouvoir paraître aussi ne la regardai-je que par à-coups, aussi la laissai-je souvent chez moi, sur la table... une vie sans odeur... puis tu es venue comme une larme au milieu de la joue (sans que l'on y prisse garde) et voilà que tout se range sous mes ongles éclos, que mes mains ont soif des objets, mes cheveux du vent... voilà...

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