Le discours comme substitut

par Rémy @, samedi 05 novembre 2016, 18:23 (il y a 2941 jours) @ Écrire

J'en connaissais un comme ça, un Breton enragé, qui, déboussolé à Paris, retrouvait ses racines dans des cours de bretonnerie et nous bassinait avec son pays natal plus fantasmé que connu, à nous dire caniveau en guise de salutation. Évidemment sans trop signaler que la raison pour laquelle il était à Paris, c'est que sa Bretagne natale adorée l'avait chassé : eh oui, pédé en pays bigot, c'est dur. Du coup, nous autres Parisiens nous moquions de son dada, et du coup, Breton en pays parigot, c'était bien dur pour lui aussi. Il avait quand même fini par trouver des âmes frères dans l'une ou l'autre association bretonnante de Paris, et ma foi, maintenant que je me suis mis aux bavaroisetés, je suis d'avis que les danses folkloriques sont une activité pas plus bête qu'une autre, où on rencontre des gens tout-à-fait sympas et pas tous aussi pris de la tête que celui dont je vous parle.

Il y a dans ces attitudes militantes tout un tas de facteurs : on ne se rend compte qu'on a des racines qu'au moment où on les arrache pour aller voir ailleurs ; c'est alors qu'on s'y intéresse et qu'on les découvre, et comme n'importe qui qui découvre n'importe quoi, on se passionne pour et on en parle tout le temps ; au moment où on explore tout ça, on apprend l'Histoire, et il faut bien reconnaître qu'en France, les rapports entre Paris et les provinces n'ont jamais été très aimables ; la plupart des terroiristes finissent quand même par trouver moyen d'apprécier la paix actuelle et par trier le bon grain de l'ivraie (oui, on peut aimer le kig-ha-farz tout en regrettant la bigoterie homophobe de celle qui le cuisine, même si c'est votre mère, à qui est pourtant due toute la légendaire piété filiale bretonne), seulement voilà, à ce moment-là ils ne se mettent pas à poster des commentaires paisibles ni à raconter le tri qu'ils ont effectué, ils arrêtent tout simplement de poster à ce sujet qui ne les préoccupe plus autant, et donc les lecteurs ne sont pas au courant de leur maturation. En tant que lecteur, on ne voit que les excités, comme un médecin ne voit que les malades ; c'est bien ennuyeux.

Pour moi, ça confirme surtout qu'il est bien difficile de faire de la bonne littérature à partir d'un traumatisme...


Tiens à propos de traumatisme, je ne sais pas si je vous ai raconté ? La dernière fois que je suis allé voir ma grand-mère, toute menue dans une immense chambre de l'immense maison de retraite d'une lointaine banlieue de la non moins lointaine Tulle, j'avais apporté mon accordéon. Toutes les pensionnaires m'ont demandé de les faire danser, bien sûr, et ma grand-mère a dû leur expliquer : mon petit-fils ne joue pas les mélodies de par ici. Ça m'a bien chagriné, alors je suis allé au magasin de musique - pensez, Tulle, capitale de l'accordéon, Maugein, Nuits de Nacre, le magasin de musique aurait dû avoir un rayon entier de mélodies de par ici. Ben non, rien. Pas une. À la messe de l'hospice, j'ai joué une chanson russe, et à ma grand-mère de 100 ans, une java parisienne. La culture du Limousin, c'est fini, elle est perdue ; elle était orale et il ne s'est pas trouvé parmi les faces de lune du pays le moindre moldu pour noter huit mesures sur papier, et même la marchande de musique et le fabriquant d'accordéons, dont c'est le gagne-pain, s'en foutent ou en sont incapables (en fait ils n'en n'ont tout simplement pas l'idée, que voulez-vous, en province on en tient volontiers une couche, euh pardon : n'étant jamais sorti du pays, il ne vous vient pas à l'esprit qu'on puisse avoir envie d'apprendre les mélodies de par ici tout en habitant à deux mille kilomètres de là) ; c'est dommage, quand même, non ? et là où Flaubert raille les Bretons pour leurs binious et fest-noz grossiers, je n'arrive pas à savoir si je dois plaindre ou mépriser les Tullistes d'avoir perdu leurs vielles et leurs bourrées.

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