L'O et moi

par Casimir, mardi 08 janvier 2019, 19:02 (il y a 1934 jours) @ Casimir

J’ai fait une belle grimace dans cette extrémité de l’histoire. C’est une grimace qui mérite sa propre histoire. C’est vraiment quand je suis dans les toilettes et que la porte est ouverte que je fais d’aussi belles grimaces, de ces grimaces qu’on peut mettre sur des portraits pour les accrocher sur un mur de l’appartement, et pourquoi pas sur le mur des toilettes. Mais il faut vraiment que la porte des toilettes connaisse cet entrebâillement précis, que la petite poubelle des toilettes m’écrase bien cette partie du pied, que j’urine sur cette partie particulière de la cuvette, pour faire une aussi belle grimace. Il faut que la petite poubelle des toilettes soit aussi lourde que d’habitude, il faut qu’elle soit emplie du même nombre de cotons tiges, de mouchoirs usagés et de mégots de cigarettes. Il faut qu’elle me procure ce degré particulier de douleur qui me fait faire cette grimace si réussie. Cet appartement doit me connaître bien davantage que je le connais. Je ne fais que me rouler d’une pièce à l’autre sans savoir vraiment où je suis, parfois même en hurlant, et il doit bien davantage agir sur moi que moi j’agis sur lui. Si je l’étire, c’est plutôt lui qui étire les extrémités de l’histoire, la mémoire de ses pièces, pour circonscrire ce que je crois me souvenir. Et si je crois me réfugier dans les toilettes pour uriner et faire ma belle grimace, c’est lui qui doit entrebâiller la porte suffisamment pour continuer à se souvenir de moi. Il doit être aussi curieux de la fonction que je donne aux toilettes que de l’utilité que je donne à la cuisine. Il est peut-être même humilié de ma façon d’uriner régulièrement en faisant la grimace, si je me souviens bien, dans une extrémité de son histoire. Mais peut-être aussi qu’il est fier de moi de me voir uriner si bien en faisant une si belle grimace, comme si j’étais son gros bébé. Je suis peut-être son gros bébé qu’il déplace d’une pièce à l’autre en bougeant le parquet, en soulevant ou en abaissant les lamelles de bois, ou en déplaçant un meuble, rendant impraticable ce que je pensais praticable. Je crois d’ailleurs me souvenir qu’il m’est parfois impossible de me déplacer en me roulant par terre d’une pièce à l’autre, comme si je luttais contre une force invisible qui m’est largement supérieure. Une force invisible, avec une masse bien supérieure à la mienne, qui me pousse en décidant du sens où je roule. Une force qui me pousse, mais sans violence, juste en me résistant, comme si je butais contre un mur en mouvement. Ainsi, je crois me souvenir qu’en en me roulant vers ce que je croyais la cuisine je me suis retrouvé dans les toilettes. Et en croyant vouloir manger au départ et faire une grimace dans la cuisine je me retrouve à vouloir uriner et faire une grimace dans les toilettes. C’est ce qui fait que je ne me souviens pas avoir uriné dans la cuisine ou avoir mangé dans les toilettes. Peut-être que c’est l’appartement qui ne me le me permet pas et qu’il est libre du sens qu’il donne à ma mémoire, tout heureux d’avoir son gros bébé qui fait sa grimace dans les toilettes, une grimace si belle qu’on peut en faire un portrait pour ensuite l’accrocher sur un mur. C’est comme si le balancement des extrémités de son histoire était comparable aux mouvements d’un berceau, à ce mouvement si particulier d’aller et de retour qui a pour principe, je crois me rappeler, d’encourager le sommeil alors que la volonté se débat. Du moins, il me semble que c’est ce qu’on dit.

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