K. dort un sommeil de plomb (absurdité)

par zeio @, dimanche 29 novembre 2015, 03:36 (il y a 3285 jours) @ zeio

Le rêve, vissé sur son siège pivotant, les deux mains posées à plat sur le bureau, attend le prochain visiteur. K. se présente à l’office, comme il le fait chaque jour et, comme à chaque fois, le rêve ne le reconnait pas. *Quelle est la raison de votre visite ?* K. laisse échapper une réponse machinale : *Je viens chercher mes honoraires*. Puis il récite son matricule qui est une suite aléatoire d’une vingtaine de chiffres et de caractères spéciaux. Le rêve, penché sur son terminal, marmonne quelque chose d’inaudible. K. ne peut pas voir ce qui est affiché sur le terminal, mais il distingue le reflet d’un clignotement qui, alternativement, éteint puis illumine de rouge le visage du rêve. Il lit aussi sur ce même visage l’expression d’une surprise. Il n’est pas inquiet outre mesure, il est rare en effet que ce type de procédure se déroule sans difficultés. Il sait aussi qu’il doit être très certainement fiché EP, c’est à dire Élément Perturbateur, mais il n’en est pas certain. Il n’a reçu aucune confirmation en ce sens. D’ailleurs, quand il y pense, il n’a jamais reçu la moindre confirmation d’aucune sorte, quelque soit le sujet. *Il y a un vice de forme, monsieur K.
- C’est à dire ?
- Il a été constaté que le récit n’a pas de fin.
- Pas de fin ?
- Il n’a pas de conclusion, si vous préférez. Voyez par vous-même*.
Le rêve tourne le terminal vers K. afin que celui-ci puisse constater qu’en effet le récit se termine au milieu d’une phrase. *Il n’a pas de fin, c’est le récit lui-même qui a imposé cet état de fait. J’ajoute : pourquoi devrait-il nécessairement y avoir une fin ? De tout temps, il n’y a jamais eu qu’un seul récit, toute conclusion est donc fictive. Vous le savez autant que moi, sinon mieux que moi : le fictif m’est étranger.
- Peu importent les circonstances monsieur K. Tout récit qui présente un commencement doit aussi inclure une fin. Cela vaut pour tous les auteurs qui souhaitent être rémunérés. C’est la loi. Celle-ci doit être respectée.*
K. éprouve une sensation de déjà-vu. Il lui semble qu’il a déjà été question de ce problème. Les premières fois, il n’était pas parvenu à se tirer d’affaire. Par la suite il se souvient avoir été victorieux. Une solution très simple lui revient à l’esprit. *Il est assez facile de se rendre compte que le récit n’a pas de fin. Mais si vous l’observez avec une attention supplémentaire, vous remarquerez qu’il n’a pas non plus de commencement*.
Interloqué, le rêve remonte à la première page. Il veut relire la ligne introductive avant de constater l’omission. *En effet. Nul commencement. L’administration peut donc se passer d’une fin. Je ne sais pas de quelle façon ce fait incontestable a-t-il pu échapper au personnel. Je vais faire remonter cette incidence, afin qu’elle ne se reproduise plus. Veuillez nous excuser. Votre rémunération, monsieur K.*.

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