K. dort un sommeil de plomb (absurdité)

par zeio @, mercredi 23 décembre 2015, 03:18 (il y a 3261 jours) @ zeio

L’homme est fort, habillé élégamment. Un spasme nerveux parcourt sa colonne vertébrale lorsqu’il réalise que des hôtes marchent négligemment sur le tapis posé avec précision au centre du salon, sans avoir au préalable ôté leurs chaussures. En fait, il n’est pas vraiment dérangé par la présence de ces chaussures sales sur le tapis du salon (la preuve étant que ses propres enfants chaque jour tapissent la tenture de salissures diverses, sans qu’il ne dise jamais rien), ce qui le dérange viscéralement, c’est la présence même de ces hôtes, au sein de sa maison saine, confortable. Car ces hôtes ont tout des étrangers. Ils sont inférieurs au demeurant. D’une façon ou d’une autre. Il en a la certitude instinctive. Peut-être s’agit-il d’insectes. Comment en est-il arrivé là ? Recevoir des insectes chez lui ? Peut-être sa femme a-t-elle commis une erreur lors de l’établissement de la liste des invités. Peut-être a-t-elle confondu les noms de familles. Il s’agit certainement d’un accident de parcours, il sera vite oublié. D’ailleurs, cette pensée qui vient de se développer dans son esprit commence déjà à se flétrir, à se noyer dans le grand tout de son cheminement ascendant. Ses cheveux sont propres. Il est rasé de près. K., invité lui aussi (bien qu’il se demande au fond de lui-même s’il n’est pas entré dans cette maison tout à fait par hasard), s’approche en souriant de l’homme. À la vue de K., l’homme pousse un *au revoir*, car il est prêt à partir, appelé par une affaire extérieure qui ne peut attendre plus longtemps. Il laisse à sa femme tout le soin de s’occuper des hôtes. Conscient de son impolitesse, mais finalement assez peu impliqué, l’homme, dont un halo d’absurdité semble circonscrire l’aristocratique silhouette, laisse finalement éclore un *bonjour*. K., toujours souriant, tout proche désormais de l’homme, lui tend une main fraternelle, comme afin de ne pas être expulsé trop vite du cercle des personnalités qui importent dans ce monde. L’homme serre la main de K., avec une telle vigueur que K. sent un os de sa main craquer sous la poigne de l’homme. Le sourire de K. n’a pas diminué d’un iota, mais sa main a dors-et-déjà perdu la bataille. Il le sait. Pris au dépourvu, il ne peut rassembler ses forces dans un suprême effort pour au moins égaler en puissance l’homme qui se tient face à lui. C’est trop tard. Les doigts de K. sont en accordéon, broyés par la force de l’homme. Humilié par cette déliquescence imprévue, K. baisse son chapeau. *Je suis enchanté*. Puis il glisse sa main ankylosée dans la poche de son manteau. Elle restera douloureuse pendant trois jours au moins.

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