K. dort un sommeil de plomb (absurdité)

par zeio @, jeudi 21 janvier 2016, 03:26 (il y a 3232 jours) @ zeio

Il fait nuit. Chacun est endormi. Tout était calme jusqu’à ce moment précis, quand le hurleur, précipité par on ne sait quel dérèglement nerveux, émerge brutalement dans la demeure. Il n’a pas eu besoin de briser une vitre, ni de forcer le moindre verrou. On ne sait pas même s’il lui a été nécéssaire d’ouvrir une porte. Peut-être une des portes a-t-elle été laissée ouverte par inadvertance ? Comment savoir ? Il a dû, en tout état de cause, découvrir une brèche quelconque. Il s’égosille. La famille est réveillée en sursaut. Le hurleur se précipite d’une pièce à l’autre, comme on échange une détresse pour une autre détresse. Peut-être est-il à la recherche d’un peu de calme, calme qu’il ne trouvera jamais dans les rues, ni ailleurs, hors lui-même. Il dissémine après lui des morceaux de ce ruban parcheminé qui lui servait de peau, ils retombent au sol comme des découpures, tessons de sa propre nuit. L’air libre le brûle et le fait trembler encore un peu plus, il hurle dans les couloirs plus que nécéssaire. Il se cogne aux tables, renverse la vaisselle. C’est à peine si on entend le verre brisé au milieu de ce vacarme. La sœur, qui ne trouve là aucune raison de se plaindre, s’évertue à remettre les choses en ordre à sa suite, abandonnée seule à cette tâche infinie. L’abnégation même. Il faut soigner le hurleur. La mère semble, dans les situations qui sortent de l’ordinaire, détenir subitement un ancien savoir. Elle tient dans sa main une veilleuse, brillante et rouge.
Elle exerce sur cette veilleuse, laquelle est attachée au bout d’une chaîne, un mouvement oscillatoire devant les yeux larges du hurleur. Comme pour couper court au sortilège. Ou pour contrer une chose très dense et très noire. Fasciné par le brasero qui oscille à sa portée, le hurleur s’estompe, de même que le monde autour de lui. Satisfaite de l’effet produit, la mère effectue quelques pas en arrière. Elle tente maintenant de diriger le hurleur à travers la demeure. *Viens par ici, sale bête !* La sœur, pour l’assister, se place derrière la mère, qu’elle guide dans les couloirs en tirant sur sa chemise de nuit. Il est emmené d’abord dans le séjour, près du poêle à bois. Sans doute espèrent t-elles qu’un peu de chaleur calmera ses nerfs. Ensuite, elles lui proposeront doucement de s’en aller. Elles savent d’instinct que le pousser dehors dans un tel état ne servira à rien, dans une telle situation il reviendra, à coup sûr. Peut-être risquerait-il de revenir chaque nuit. Qui sait même s’il ne reviendra pas accompagné de toute une meute, pour se venger de ne pas avoir trouvé, ici même, une forme d’accalmie. Le poêle à bois hélas n’a aucun effet. Tandis que la mère retient toujours l’attention du hurleur, la sœur saisit le soufflet et tente de propager l’air chaud autour de son petit corps. Mais chacun de ces déplacements d’air provoque des convulsions. Il est sur le point de pousser de nouveaux cris. *Il lui faut la fenêtre ! pour regarder au-dehors*. On le dirige, à l’aide du même stratagème, vers la chambre la plus proche, celle de la mère. *Il faut le nicher ici, sur le barreau* dit la mère en désignant la fenêtre. Après de longs efforts le hurleur est finalement tenu en équilibre sur le barreau. Pour maintenir son attention vers l’extérieur, la mère tend par la fenêtre son bras qui tient toujours la veilleuse. Mais à la suite d’un mouvement trop brusque, la flammèche la brûle. Elle lâche prise, l’objet tombe. *C’était le dernier recours*. Le hurleur suit des yeux la lueur, dont la chute lui semble si lente. Sans attendre, il se laisse tomber à son tour, pour la rejoindre.
*Il ne reviendra plus* affirme la mère, sûre d’elle-même.

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