K. dort un sommeil de plomb (absurdité)

par zeio, mercredi 28 septembre 2016, 02:57 (il y a 2981 jours) @ zeio

La peine d'exil a été prononcée avec retard. La peine doit donc être effective d'autant plus vite. K. marche là où il n'est pas sensé se trouver et, tandis que la sœur lui tend délicatement un verre d'eau, il trouve dans celle-ci un arrière-goût étrange. La sœur peut-être est au courant de la peine à venir, c'est pourquoi elle ne dit pas un mot ; le père, qui sait toutes ces choses en avance (le réseau qu'il a patiemment tissé touche aux plus hautes sphères) a certainement passé le mot à la famille, K. mis à part. C'est une invisible manigance qui l'oblige à raser les murs pour atteindre la salle de bain où il se trouvera enfin seul. Il sait qu'il sera bientôt dehors, quoi qu'il arrive, les prétextes sont nombreux pour franchir la porte du pallier, il lui suffira d'en piocher un hasard, par exemple, celui de se rendre au travail. Pour l'heure il s'agit de se préparer et c'est avec difficulté qu'il parvient à se reconnaître dans le miroir, quelque chose a été modifié, est-ce un nouveau pli de le cou qui n'existait pas la veille, ou la pilosité de son visage qui a soudainement cessée de croître ? Le soleil lui aussi possède une teinte anormalement orange. Ses yeux sont étrangement verts. Les couleurs sont sursaturées comme elles peuvent l'être parfois dans un rêve. Ses cheveux sont déjà peignés, K. imagine qu'une main occulte est venue préparer ses cheveux pendant la nuit, de façon à accélérer la phase préparatoire au départ. Y regardant de plus près, il remarque qu'il est propre et déjà habillé. Il est donc venu pour rien dans la salle de bain. Sans doute pourra t-il utiliser le temps pressenti à la toilette pour organiser la sortie. K. ouvre la lucarne, passe la tête dehors, jugeant qu'une chute depuis cette hauteur lui serait fatale, il se fige, se retourne et s'assoit. Lui laissera t-on le temps de s'extraire de la demeure, au moins ? Tandis qu'il se retourne, à l'affût d'autres moyens de sortie, il découvre que la porte a été déplacée sur le mur opposé. Il ne la quittera plus des yeux, espérant ainsi contrecarrer sa probable disparition. Après un long moment, des pas se font entendre, on glisse un papier sous la porte, K. se précipite, pressé de connaître enfin le jugement, puisqu'il ne peut s'agir d'autre chose. Le jugement connu, il sera libre enfin de cet état atroce qu'on nomme l'expectative, pense t-il. Il y a quelques mots, sur le papier, griffonnés à la va-vite : "Nous t'attendons avec impatience". K. pose une main sur la poignée de la porte, sans savoir si celle-ci aujourd'hui daignera finalement s'ouvrir.

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