K. dort un sommeil de plomb (absurdité)

par zeio @, mercredi 13 janvier 2016, 02:28 (il y a 3240 jours) @ zeio

K. ouvre les paupières. La routine n’a pas lieu d’être. Elle est cruciale. Le plan est tout tracé. Le plan est neutre, la journée est claire. Aussi claire qu’une journée non décisive. Et la neutralité de la vie réelle sied à celui qui veut conquérir le monde par les voies intérieures. Les voies les plus délaissées de toutes les voies. Les voies dont on est sûr qu’elles mènent au vide seul. À la défaite prévisible. Elles forment pourtant une somme de toutes les victoires à elles toutes seules. La représentation de ce qui va venir est si nette, une légère concentration n’est pas même nécéssaire pour que K. puisse constater son propre corps au lever, de dos, qui se dirige vers l’armoire déjà grande ouverte. Par anticipation il entend le frottement caractéristique du peigne dans ses cheveux mouillés. Le miroir l'attend. Le cou de K. est déjà rouge du feu du rasoir à venir. Il récolte encore un peu de la chaleur amniotique du lit, bien qu’il ne tire aucun plaisir particulier de cette chaleur, la sachant provisoire, vouée à se désagréger bientôt dans le cours de l’hiver. Il se couvrira du manteau gris sombre. L’instant décisif, qui lui apportera la victoire, n’est pas situé dans l’entremêlement des jours qui se succèdent, il repose sur le papier. C’est là qu’il partira à la conquête du monde. Le mot attend K. près d’un feu, il fait encore nuit, c’est le matin hivernal. La plus légère imagination permet à K. de se surprendre, sur le point de traverser la chambre, en direction de la cuisine dans laquelle il prendra le petit déjeuner avec le père, lequel se plaint déjà du mauvais travail de ses employés, en leur absence. Avant même que les employés aient débuté la journée de travail. Avant même qu’ils n’aient ouvert les yeux, finalement. K. se demande si l’entière existence du père n’a pas la consistance mucilagineuse d’une immense plainte. Déployée de part en part, tout au long de la vie, elle augmente à chaque échelon, résultante d’une nécéssaire évolution de son statut social. En bon fils, K. se plaint lui aussi. Il a toutes les raisons de se plaindre. Le père est inapte, non seulement à le comprendre mais simplement à l’écouter. K. se plaint auprès du vent. Auprès du nuage. Ses plaintes sont tout autres. Elles sont les seules vraies, quand toutes les autres sont des simagrées d’esclaves. Depuis ce qu’il reste de son sommeil, K. écoute le clair cliquetis des clefs dans la serrure de la porte d’entrée. Quelqu’un part. Une neige à demi fondue recouvre la terre. Le plan est tout tracé. La conquête peut débuter.

Fil complet: