K. dort un sommeil de plomb (absurdité)

par zeio @, mardi 08 décembre 2015, 02:09 (il y a 3065 jours) @ zeio

Une Einsamkeit est disposée dans un grand vase blanc, son ventre pointant vers le nord, c’est à dire vers la fenêtre et les étoiles. À force de discipline, K. est en mesure de la maintenir éveillée, comme si sa vie propre en dépendait ; sans prendre la peine de l’abreuver (elle n’a pas besoin d’eau), simplement en écartant le rideau de temps en temps, pour la confondre dans les distances. Souvent il s’adresse à elle, puisant dans le langage courant, pour le simple plaisir de ne pas recevoir de réponse formelle. Pas un mouvement, ni même un léger tressaillement, en réaction. C’est tout juste si ce silence ne constitue pas en lui-même le fil étrange d’une parole suspendue. K. tire ce fil à lui, surpris à chaque fois d’éprouver une résistance, comme si quelqu’un malgré tout le tenait à l’autre bout, et ne voulait pas le laisser échapper si facilement. Il ne force pas, de peur de rompre le fil, de perdre ce seul lien avec le versant inaccessible de la demeure. Pour autant, l’Einsamkeit n’est pas perpétuellement figée, il lui arrive notamment de se mouvoir, de ployer puis de se déployer à nouveau, selon une cadence imprévisible et une logique parfaitement mystérieuse. Peut-être répond-t-elle à sa manière à un quasar pulsatile, lui-même invisible aux yeux limités et civilisés de K. Sans doute s’agit-il d’une forme d’instinct, terme sommaire visant à envelopper d’un semblant d’explication cette somme d’inconnus dont est tissé le prime animal. À vrai dire, cela fait longtemps qu’il ne cherche plus à interpréter les essors, les convulsions de l’Einsamkeit. Il lui semble que les tentatives d’explication éteignent une à une les étoiles, obscurcissent chaque fois une nuit déjà très noire et redoutable.

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