K. dort un sommeil de plomb (absurdité)

par zeio, mercredi 11 mai 2016, 02:18 (il y a 2911 jours) @ zeio

Le père, ainsi que la mère, les sœurs et K. sont allongés, le dos à même le sol froid du patio. Entre la cime des arbres et le rebord du toit, les étoiles les plus brillantes sont visibles. Ils ne parlent de rien de particulier. Ils ne parlent de rien du tout. La volonté du père se manifeste, quelque chose dans l'atmosphère est modifié, une tension, une teinte bleue posée sur les objets, à moins qu'il ne s'agisse du délabrement nocturne qui prend le pas sur la clarté du jour. Le soleil a fini sa course dans la terminaison des nervures. On a envie de serrer le poing, pour tenter machinalement une défense, contrer une hostilité intérieure. Poser dès maintenant les défenses et, si l'adversaire ne vient pas, avoir tout le loisir d'engendrer le combat de toute pièce, dans une contraction du corps. Le père veut enclenchement un mouvement, s'il y parvient, il ne fait nul doute que son exemple sera suivi par toute la famille. On ne connaît pas encore son but, lui seul connaît la finalité de ce tropisme. Le père exerce un mouvement de balancier, cherche son élan, comme s'il se sentait capable d'atteindre, en maniant le poids de son corps, la vitesse de rotation qui lui permettra de se mouvoir dans le patio. Les tentative successives se terminent chacune sur un échec. On entend un grognement de plainte. K. devine que le prochain essai du père sera certainement le dernier, après celui-ci, les forces feront défaut, il sera trop tard. Le père souffle, se concentre avant, dans un effort énorme, de vaincre la force d'inertie et de parvenir à positionner son corps sur le côté droit. Mais il menace à nouveau de retomber sur le dos, sa position initiale. Il lance alors ses bras vers l'avant, grâce à ce mouvement supplémentaire, parvient à se mettre sur le ventre, les bras maintenant tendus au-dessus de la tête. La famille réalise que cela ne s'était jamais vu, nulle part, et que le père venait vraisemblablement d'accomplir un de ces miracles comme lui seul était capable jusqu'à présent de les accomplir. Il pousse un cri qui n'est ni de défaite ni de victoire, peut-être la simple expression d'une vitalité sauvage, ce cri se répand dans la nuit, semble dépasser sans mal les sommets des montagnes alentour. Dans l'esprit de K. ce cri est propre à recouvrir le monde dans sa totalité. Un cri aussi puissant, aussi dominateur, il n'en connaîtra plus. Les difficultés ont été surmontées. La vitesse de rotation atteinte, l'effort à fournir est désormais négligeable pour la maintenir, le père se déplace, se rapproche de la limite du patio, la dépasse, roule dans l'obscurité. Il ne s'arrêtera plus désormais. Ainsi, il a démontré que cela était possible. Les autres membres de la famille, dont K., entreprennent le même mouvement. Un échec de leur part, à coup sûr, ne pourra être de mise, sous peine de perdre de vue le père à jamais. Il faudra suivre le mouvement coûte que coûte, rien d'autre n'a d'importance. La mère, K. et les sœurs oscillent sous les étoiles, cherchent leur élan, prennent de grandes respirations, se contractent à romprent leurs nerfs. Les corps et les esprits sont tout entiers consacrés à cette entreprise.

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