K. dort un sommeil de plomb (absurdité)

par zeio @, samedi 19 décembre 2015, 04:07 (il y a 3054 jours) @ zeio

C’est une assemblée d’hommes assez peu paisibles. On y parle de choses importantes, quand bien même excessivement banales. Du temps, à maintes reprises, mais le plus souvent, de toutes les choses qui concernent le travail et l’avenir d’une grande ville. Ils s’agitent, des ailes battent, des fronts se cognent, des interjections fusent à travers la salle, vont s’écraser sur les murs et le plafond comme des insectes, sans laisser de tâches ; ou bien finissent parfois sur le front d’un homme, qui va lui-même répondre instantanément par une autre interjection sensiblement plus énergique. On ne cesse pas de parler. À certains moments, lorsque le silence est sur le point de naître, lorsqu’un laps salubre semble prendre forme, il est annulé aussitôt par un grommellement sourd, bruit de succion qui annonce la prochaine lignée sauvage, le prochain jaillissement, nouvelle naissance de quelques fœtus morts. K., passé les élémentaires civilités, n’a pas pris la parole une seule fois. L’expression de son visage donne à penser qu’il écoute. Il écoute certainement. Il n’a rien entendu d’autre qu’un flottement désuet. Il peut saisir quelques passages au vol, qui consolident la vision qu’il a de l’ensemble. Il songe à ce qu’il pourrait ajouter à la conversation. De nombreux oiseaux en lui prennent leur essors, avant de chuter lentement vers la mer gelée. Il observe avec admiration la libre décadence de ces oiseaux muets qui ont vu brièvement la lumière. Ils n’ont pas eu le temps de soustraire au ciel une longue pensée magique. À chaque battement un nouveau cadavre. Mais K. est patient, dévoué. On peut le voir se lever, parcourir l’étendue gelée, récolter un à un les corps sans vie des oiseaux pour les mettre à l’écart, dans un endroit secret où il pourra les résoudre. Quelque part où ils ne seront plus offensés.

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