K. dort un sommeil de plomb (absurdité)

par zeio, lundi 15 février 2016, 04:14 (il y a 2996 jours) @ zeio

Étendu au sol, tandis que les hôtes discutent posément de choses et d'autres. L'arrière du crâne appuyé contre un coussin délavé et inconfortable. K. est l'unique usager de ce coussin, dont personne ne s'est jamais préoccupé de le nettoyer, encore moins de le remplacer par un coussin neuf, adéquat, qui aurait fait le bonheur de K. ; qui aurait même pu, d'une certaine façon, renouveler son monde, qui sait. Lorsque dans un mouvement de tête un peu trop brusque, le soulèvement de poussière issue du coussin irrite la gorge de K. et provoque un retour de toux, la mère ne s'interroge pas outre mesure, elle ira tout au plus nettoyer le tapis autour, sans songer au bonheur de l'imperturbable dormeur qui sommeille ici et qui a besoin de plus de soins qu'il n'en a l'air. Faute de nuages, il exerce sa vision sur le triste lustre qui surplombe les convives, dont la conversation ordinaire et nébuleuse laisse parfois échapper une forme de gargouillis qu'il confond avec un détestable recommencement. Quand l’entretien porte sur un sujet plus délicat, les timbres des voix se font plus graves, ils descendent dans le spectre auditif de K. pour attendre des zones désagréables voire alarmantes pour lui. L'exécrable motricité de son anatomie ne lui permet pas de se boucher les oreilles. D'ailleurs, il ne le désire pas vraiment, car il ne craint rien tant que l'espéré silence. Sans compter le fait que toute tentative nouvelle de K. de se boucher les oreilles, en plus d’être vouée à l'échec, offrirait aux hôtes le spectacle ridicule de ses invraisemblables contorsions ; il serait soumis, une fois supplémentaire, aux regards désapprobateurs de la famille et des invités. Alors, faute de mieux, il se couche, il attend. Il écoute, surtout. Il ne cherche plus depuis longtemps (d'ailleurs, ne l'a t-il jamais fait ? N'avait-il pas réalisé, dès le premier jour, l'inanité de toute tentative ?) à extraire un sens de toutes ces paroles qui infusent la pièce. Cela ne l'empêche pas, c'est même le contraire, d'écouter. Attentif, K. est à l'affût de quelque chose. On pourrait par ailleurs résumer ainsi son existence, de nuit comme de jour, depuis l'aurore de sa vie, il est à l'affût. Sans bien savoir de quoi. D'une absurdité confondante, peut-être. Ou plutôt, de quelques jeux qui se soulèvent. Au-dessus de lui, les raies de lumière coïncident avec les mots, qui finissent toujours leurs périples à un endroit où à un autre de son territoire intérieur. Il les fait sien, les tourne entre ses doigts. Quand il remarque en eux la promesse d'une naissance, on ne sait pas si c'est la fierté ou le regain d'espoir qui le poussent à rendre au monde ce qui s'est accompli en lui. Il lève la tête. Il adresse quelques mots. La discussion cesse instantanément, les hôtes et la famille se tournent vers lui, interloqués. *Il parle ?* interroge un invité inconnu. *Peut-être essaie t-il de dire quelque chose*, répond un autre. K. éprouve une sensation semblable à celle qui a lieu à la fin d'un rêve lourd et prégnant, dont on a peine à s'extraire pour rejoindre ce que d'autres ont nommé pour nous la réalité. Il faut pourtant la rejoindre, coûte que coûte. Pour K. il est tout à fait clair que ce ne sont plus des mots qui sont échangés autour de lui désormais. Ce sont des rires.

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