K. dort un sommeil de plomb (absurdité)

par zeio, dimanche 22 mai 2016, 01:31 (il y a 2900 jours) @ zeio

La maison s'est enfoncée de quelques pas supplémentaires dans la terre meuble. Les murs, les poutres de chêne, les habitants, ils sont tous redescendus. Le creuseur, tout entier voué à l'activité pour laquelle il a été placé dans le monde, rôde aux alentours du foyer. Parfois, par le plus grand des hasards, le tunnel en cours d'élaboration est situé aux abords d'une fenêtre laissée grande ouverte. Dès lors, tandis qu'il creuse, il arrive qu'il pousse par inadvertance des mottes de terre qui finissent sur le plancher séculaire de la chambre de K.. Le résultat de cette chute inopinée, au-delà de l'impropreté, est le son caractéristique du léger éboulement qui se propage dans les nerfs, résonne jusqu'à l'irritation. Le creuseur, pourtant, est dénué de toute intention, sinon de celle de creuser. Il ne pensait pas à mal (si on accepte de lui prêter la faculté de penser), si d'ailleurs il avait connaissance de tous les troubles qu'il génère en l'autre, il est fort à parier qu'il tenterait sur le champ de consacrer ses immenses forces à la cessation de toute activé perturbatrice, quand bien même cela lui est physiologiquement impossible. K. depuis longtemps à compris qu'il fallait faire avec, comme on fait avec la pluie, le vent, et toutes les choses naturelles. Si ça ne tenait qu'à lui, il permettrait aux mottes de terre de s'amonceler sous la fenêtre, il laisserait volontiers croître l'écosystème de vers, de germes, de champignons, de racines et de millions d'autres symbiotes qui s'agitent vigoureusement dans la glèbe. C'est la mère, quand la sœur n'est pas dévolue à ce rôle, qui se donne du mal pour entretenir le rite de la purification intérieure. K. se rappelle qu'un jour il avait entendu la mère justifier le rite par ces mots simples : "l'état de la demeure reflète l'état de nos esprits". Cela n'empêche pas la maison de s'affaisser toujours un peu plus et de pénétrer dans le sol. Cela n'empêche pas non plus les fenêtres de descendre lentement jusqu'au royaume du creuseur. Repensant aux mots de la mère, K. se demande souvent pourquoi, pour juger de l'état de délabrement ou de clarté de nos esprits, le monde extérieur est si peu pris en considération. Peut-être parce que nous nous bornons à imaginer qu'il existe une frontière établie entre la demeure, les autres et les étoiles, se dit-il.

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